Colloque plantes JNE du 11 mars 2021. Compte-rendu de la 2e table-ronde : peut-on considérer les plantes autrement que comme des ressources à exploiter ?

Voici le compte-rendu de la deuxième table-ronde du colloque des JNE sur le thème « quels droits pour les plantes ? », qui s’est tenu le 11 mars 2021.

Compte-rédigé par Nathalie Tordjman

A travers différents exemples botaniques choisis, les intervenants ont présenté différents rapports que nous entretenons avec les plantes.

Marie-Paule Nougaret, journaliste (JNE) : introduction
Marie-Paule Nougaret présente une plante mystérieuse, le silphium, majeure à l’Antiquité, elle a depuis longtemps disparu. Cette plante, de la famille des Apiacées, poussait dans une des colonies grecques, la Cyrénaïque, correspondant au nord-est de l’actuelle Libye. A cette époque la région était boisée et arrosée par de nombreuses sources. Le silphium était précieux et recherché pour ses nombreuses vertus médicinales et culinaires. On le connaît par sa représentation sur des pièces de monnaie. On ne sait pas si cette plante a été cultivée, mais on a la certitude qu’elle était totalement éteinte quatre siècles après notre ère, peut-être à cause de sa surexploitation, mais aussi de la transformation de son biotope. La région a été totalement déboisée pour cultiver les terres, et pour construire des navires en bois, indispensable au commerce lucratif de cette plante dans le bassin méditerranéen.
Autre exemple, contemporain lui, Arnica montana, plante connue pour les granules homéopathiques prises pour atténuer les ecchymoses après une chute. Cette plante ne se cultive pas et a besoin d’un environnement particulier pour pousser : des terrains acides, bien drainés, une atmosphère humique, baignée d’UV. Originaire des Vosges (massif du Markstein), la plante ne pousse qu’en montagne et certaines populations se sont trouvées amoindries quand le pâturage enrichit trop le sol,, mais aussi quand les cueillettes sont trop nombreuses.

Raphaële Garreta

Raphaële Garreta, ethnologue au Conservatoire national des Pyrénées et de Midi-Pyrénées : sensibilités de cueilleurs
Raphaële Garreta étudie depuis dix ans l’impact des cueillettes commerciales sur la flore sauvage, confirme que Arnica montana est une des plantes majeures de notre pharmacopée. Celle-ci compte parmi les 728 espèces, ou sous-espèces, qui font l’objet de cueillettes commerciales dans les milieux naturels en métropole. Ces plantes alimentent un très gros marché tant pour la pharmacie, la cosmétique, l’agroalimentaire que la décoration florale.
Au niveau international, dans un rapport publié en 2018, l’ONG Traffic considère que 60 à 90 % des plantes aromatiques et médicinales (les PAM) sont issues de populations sauvages et que ce commerce a été multiplié par 3 depuis 1999. On est donc face à une énorme exploitation des végétaux au service d’une économie mondiale, bien loin « des menus produits » comme l’ONF qualifie les ressources autres que le bois dans une forêt.
Pourtant l’état de seulement 7 % des 30 000 espèces de PAM a été évalué et parmi elles, une sur cinq est menacée d’extinction à l’état sauvage. Il reste donc 93 % des plantes à étudier, mais comme le dit Pierre Lieutaghi dans une vidéo mise en ligne en introduction à ce colloque : «  Faut-il avoir tout étudié pour commencer à protéger ? » Assurément, quand une plante comme Rhodiola rosea (utilisée pour lutter contre le stress) est exploitée pour sa racine, il y a un fort risque de disparition !
Pour avoir des données réalistess ur la situation, un projet d’observatoire des cueillettes est en construction, au moment où les cueilleurs se professionnalisent et se sont fédérés en une association française de la cueillette de plantes sauvages.
Raphaële Garreta a notamment publié Des simples à l’essentiel, Presses universitaires du Mirail, 2007.

Clotilde Boisvert

Clotilde Boisvert, ethnobotaniste, fondatrice de l’Ecole des plantes : le symbole, une autre voie de connaissance
Clotilde Boisvert présente trois exemples de plantes symboles en rapport à la phytothérapie, mais, précise-t-elle, toutes les plantes ont un symbole.
La petite pervenche, Vinca minor, dont les tiges servaient de liens aux jardiniers, signifiait une demande en mariage (en Savoie) quand un jeune homme offrait un bouquet de petite pervenche à une jeune fille. Aujourd’hui, certains lieux couverts de petites pervenches sont des endroits anciens où se dressait autrefois un château, des souterrains. C’est un lien de mémoire. De Vinca minor, on tire de la vincamine, substance qui agit comme un dilatateur artériel sur le cerveau, et lutte contre les troubles de la mémoire.
Le romarin officinal, Rosmarinus officinalis, plante très répandue, symbole de la renaissance. C’était le bouquet de la mariée, pour faire renaiîre l’amour tout le temps, mais aussi celui que l’on mettait sur les tombes. Dans le Sahara, les femmes Touareg préparaient des infusions de romarin pour remettre les hommes sur pied.
Le laurier d’Apollon, Laurus nobilis, tient son nom d’une légende. C’est la nymphe Daphné qui, pour échapper à l’amour d’Apollon, est transformée en laurier par son père, dieu du fleuve. De ce jour, Apollon voue un culte au laurier qui devient symbole de victoire. On en fait des couronnes. Le lauréat est le gagnant (baccalauréat !). A Delphes, la Pythie lit l’avenir dans la fumée d’un feu de branches de lauriers.
Clotilde Boisvert a notamment publié Redécouvrir les bienfaits des plantes. Conseils pour identifier, cueillir et utiliser les plantes qui soignent, Editions Pratt, Paris 2020.

Gilles Clément – photo Eric Legret

Gilles Clément, jardinier, écrivain : l’opportunisme végétal
Gilles Clément visite notre relation aux plantes qu’on appelle invasives, préférant plutôt parler d’opportunisme végétal. Les exemples sont nombreux. Les végétaux s’installent dans le lieu qui leur convient. Pourquoi éradiquer une plante qui se trouve bien là où elle pousse ? D’autant que ce sont souvent les activités humaines qui leur offrent les conditions et l’espace pour s’implanter. Ainsi autrefois, une terre labourée offrait eau et lumière aux plantes à cycle court qu’on appelait messicoles. Elles ont aujourd’hui disparu dans nos terres cultivées appauvries, stérilisées. Ces plantes opportunistes sont aussi appelées adventices ou pionnières. Le terme d’envahissantes est à reconsidérer. Ainsi, les chênes qui colonisent l’Europe depuis 10 000 ans sont envahissants, ou comme le dit Pierre Lieutaghi « le maïs est la plante la plus envahissante » !
Dans le cadre du changement climatique, certaines plantes qui sont présentes depuis longtemps ne supporteront pas et disparaîtront. Alors que d’autres, récemment arrivées, le supportent bien mieux. Si on on enlève ces nouvelles arrivantes, que va-t-il rester ? De plus, on s’attaque aux plantes à éradiquer, mais pas souvent à la cause. Ainsi, pour combattre la jussie, originaire d’Amérique du sud, on envoie des bulldozers, alors que son expansion est due à l’eutrophisation du marais. Il faudrait stopper l’épandage de nitrates sur les bassins versants.
Classer les plantes en bonnes ou mauvaise est un faux problème. Il faut changer notre regard sur la dynamique du vivant en évolution.
Gilles Clément vient de publier Notre Dame des Plantes, texte écrit suite à l’incendie de Notre Dame de Paris , éditions Bayard, 2021.

 

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