Entretien avec Jean-Paul Crampe sur le retour du bouquetion dans le Parc national des Pyrénées

Après une absence d’un siècle dans le Parc National des Pyrénées, le bouquetin revient versant français, grâce à un projet franco-espagnol. Jean-Paul Crampe, l’un des artisans de ce programme, nous le présente.

Propos recueillis par Michel Cros

Jean-Paul Crampe – photo Julien Rougny (revue Oxytanie)

Pourquoi a-t-on perdu la trace du bouquetin des Pyrénées ?

La réintroduction du bouquetin des Pyrénées, c’est la fin d’un processus de déclin qui a commencé, probablement au XVIIe-XVIIIe siècle et dont les derniers individus subsistaient en Aragon (Espagne), dans le canyon d’Ordesa, qui se trouve être un lieu particulièrement favorable à sa conservation. C’est la chasse qui est responsable de la disparition du bouquetin des Pyrénées, comme des autres bouquetins dans le monde d’ailleurs. C’est la seule et unique raison pour laquelle il a disparu initialement.

Dans votre livre sur le bouquetin qui a pris deux années d’écriture, vous évoquez les différentes étapes de sa réintroduction au sein du Parc national des Pyrénées. Quels sont selon vous les nouveaux dangers à venir ? Vous avez parlé, lors d’une conférence pendant ce Festival, de convoitise possible lors de la réintroduction de cet animal, ne serait-ce pour leur trophée qu’ils portent sur leur tête. Les mêmes dangers ayant causé sa perte sont-ils encore à craindre ?

L’histoire du bouquetin qui est à venir va être différente de celle qui a pu être dans le passé. Il n’est pas réintroduit pour une exploitation, que ce soit pour le trophée ou pour quelque exploitation que ce soit … Il est réintroduit pour reconstituer un patrimoine disparu. Les dangers sont certes toujours les mêmes ; c’est toujours un peu l’homme malgré les nouvelles réorientations par rapport à la faune sauvage. Il y a toujours des individus qui sont capables de faire des choses défavorables pour lui.

La tentation du trophée existe toujours auprès de certaines personnes,. Donc, il vaut mieux que le bouquetin continue à se méfier de l’homme dans l’absolu. Ceci dit, comme la majorité des gens qu’il croise va se comporter d’une manière inoffensive, son comportement ne va pas être celui d’un fuyard, mais celui d’un animal tout à fait pacifique et tout à fait facile à observer et à approcher.

Quel va être son suivi au sein du Parc dans les années à venir ?

C’est un petit peu l’enchaînement obligatoire des opérations de réintroduction. Il faut savoir ce que cela devient si l’opération que l’on a tenté est réussie. Ensuite, dans la période un peu longue de la « gestion », c’est-à-dire de la conservation de l’espèce, il faut suivre ces populations, savoir si led animaux sont malades, s’ils sont trop nombreux par endroits ou pas assez en d’autres lieux. En général, c’est une espèce qui se régule toute seule d’une manière très efficace. Mais il est du devoir des générations qui viennent de s’intéresser à la faune sauvage, et de savoir ce que devient ce bouquetin et s’il se porte bien ! Le suivi à long terme est une action inévitable et obligatoire.

Y aura-t-il un programme spécifique pour tenir compte du dérèglement climatique ?

Oui, c’est envisagé, en suivant l’évolution des pathologies, notamment celles qui sont transmissibles au bétail domestique . Une surveillance permanente est nécessaire, et à très long terme afin de savoir comment se porte l’ensemble des espèces sauvages quand on veut conserver ce patrimoine naturel avec lequel il faut cohabiter.

Le pastoralisme est-il appelé à se développer ?

C’est difficile à dire, on ne sait pas trop. Cette activité est plutôt en déclin, mais on peut souhaiter qu’elle se maintienne. Cela va dépendre beaucoup de l’évolution du marché, donc de choses qui nous échappent ! Le pastoralisme fait bien partie de l’écosystème montagnard aavec lequel le bouquetin doit cohabiter. Et il le fait très bien car cette activité ne le concerne pas et il n’y a pas de compétition directe avec les animaux domestiques. Il habite des endroits où personne ne l’embête ; ce sont des falaises, les roches, la haute altitude. Par définition, l’espèce pose peu de problèmes à l’homme et à ses activités.

Combien y a t-il de bouquetins aujourd’hui côté français ?

Entre 225 et 230 bouquetins ont été réintroduits, et même un petit peu plus car un lâcher a eu lieu il n’y a pas très longtemps et sur trois zones différentes. Donc, c’est le début d’actions qui doivent se prolonger et qui vont se faire, tôt ou tard, sur le versant espagnol où l’on n’a pas encore entamé ce processus de réintroduction. Et ce que l’on voit est encourageant ; la reproduction se passe bien, l’adaptation est bonne, la reproduction des noyaux réintroduits est assez rapide et montre que l’animal est parfaitement adapté au climat et en milieu pyrénéen. Il n’y a pas trop de doutes, mais là, ils sont balayés par ce que nous montre les premières réintroductions. Les actions continuent pour le Parc, car les opérations de réintroduction ne sont pas terminées. Il faut procéder à des renforcements génétiques avec d’autres animaux qui vont être lâchés. Il y a un suivi à long terme à mettre en place, notamment sur le plan sanitaire. C’est une opération qui continue…. Elle ne fait que commencer, d’ailleurs.

Jean-Paul Crampe est membre du conseil scientifique au sein du Parc National des Pyrénées (PNP) et ancien chef de secteur du PNP, où il a été l’un des artisans du programme de réintroduction du bouquetin pyrénéen sur le versant français. Il a présenté, à l’occasion du Festival pyrénéen de l’image nature, un ouvrage qui fait référence, fruit de toute sa carrière : Le bouquetin aux Pyrénées, odyssée d’une espèce retrouvée (Editions Monhélios en coédition avec le Parc national des Pyrénées, 432 pages, 30 x 22 cm, plus de 1 000 photos couleur, 35,00 €) .