Paysan et citoyen, créer des liens avec la Terre

C’est avec bienveillance que les adhérents ou bénévoles (1) de l’association Terre de Liens cherchent à aider et à résoudre les problèmes de cultivateurs ou de particuliers, liés par des engagements ou embringués dans des conflits agricoles.

par Hervé Jane

Avec une idée en tête, une priorité dans la « prise de terre » : préserver les terres agricoles et faciliter leur transmission « sereine ». Ils essaient de répondre à la demande dans chaque région où ils sont présents, ouvrant d’abord des pistes pour défricher les difficultés réelles. Chacun se sent ainsi moins seul dans ce dédale de notre monde agricole contemporain, lequel est en transition et en proie d’abord à l’artificialisation chimique, puis à la spéculation des sols. Deux raisons d’être dépassé dans le monde contemporain !

Aujourd’hui, l’association Terre de Liens, qui existe depuis 2003 et couvre l’ensemble du territoire métropolitain (association nationale et territoriale), a acquis 4 300 ha de terres et suivi 180 fermes en installant au total 380 fermiers actifs. Elle n’oublie jamais que le foncier agricole est « une ressource finie donc rare » : un bien commun à tous, mais dont « l’usage est l’enjeu de visions contraires ».

Rien qu’en Normandie, elle compte aujourd’hui 300 adhérents et a acquis et soutenu 20 fermes pour une surface de 300 hectares. En Rhône-Alpes (800 adhérents et 200 bénévoles), elle a acquis 20 fermes. En Midi-Pyrénées (170 adhérents, 40 bénévoles), elle a suivi 10 fermes. En Ile-de-France, elle a 800 adhérents et 100 bénévoles. En Bretagne, elle a accompagné « méthodologiquement et juridiquement » 45 fermes collectives et solidaires (2). En Corse aussi : 24 500 ha et 457 paysans sont installés en culture bio. Etc. La finalité globale est claire : « encourager les paysans d’aujourd’hui » permettra demain la survie des fils et filles de paysans ou l’émergence de futurs paysans.

Le « refus de l’effritement »

Lutter au nom de cette Terre que tant de citadins ont oubliée, que tant d’enfants méconnaissent ou qu’ils ne retrouvent qu’un jour par an, au Salon International de l’Agriculture à… Paris ! Un défi. De fait, cette terre se rappelle désormais à nous tous de plus en plus violemment avec les multiplications des incendies ou des inondations de par le monde, avec la disparition des insectes, l’appauvrissement des sols, etc. Cette terre essentielle que l’on redécouvre en choisissant de consommer bio, de manger une nourriture saine et d’en écarter conservateurs ou colorants inutiles. Or cette terre là, la nôtre, celle à laquelle nous sommes « liés » n’est féconde que sur une épaisseur moyenne de … 30 cm. Pas plus ! Avec une fertilité naturelle qui s’appauvrit et un sol qui part en poussière et en pierres, en particulier sous l’assaut de ces « intrants » qui se déversent dans les rivières et rejoignent nos nappes phréatiques.

Cette terre, une simple peau qui recouvre la planète, a une superficie qui se réduit comme une peau de chagrin. Un milliard d’hectares de terres fertiles a été perdu sur un siècle. En France, chaque semaine 200 fermes disparaissent et 1300 hectares d’espaces agricoles naturels sont recouverts de béton. (Selon le ministère de l’Agriculture, 7,5 % de la surface agricole utile est cultivée en bio). Un petit nombre d’exploitations s’agrandit en accaparant la ressource foncière : elles découragent les jeunes agriculteurs sans moyens ou moins aisés de tenter de s’installer. De surcroît, un tiers des terres arables sur toute la surface du monde dépérit sous nos yeux et est de moins en moins productif. Tandis que la population de la planète, elle, augmente inéluctablement.

Localement, la Terre…

Quels sont ses droits, les droits de la Terre, ceux d’une hypothétique personne Terre que les Amérindiens nomment avec tant de lucidité la Terre-mère ? Comment faire pour que la terre perdure au fil des siècles futurs, pour qu’elle propose sur sa surface des plantes consommables et durables. La volonté de  « préserver la terre », selon Terre de Liens, ne peut se faire dans l’isolement, mais elle impose une « responsabilité collective ». Car la vie part de cette terre qui, sur toute la planète, nous nourrit tous. Sans elle, nous ne serions que des affamés ou des assoiffés, bref des mourants en puissance.

Le raisonnement TDL est simple : préserver les terres est impératif et ne peut guère se faire sans raisonner à l’échelon local. Il faut bien commencer quelque part. Qu’est-ce qui se passe dans mon/notre village, dans mon/notre pays ? Souvent la même chose que ce qui se passe chez les autres, dans les autres villages et les autres pays. On achète des terrains comme des machines à laver. On en revend en pratiquant la spéculation, en viabilisant parfois le terrain vendu ensuite comme terrain à construire. Or ce n’est pas du béton qui va nous nourrir !

C’est donc terre par terre, parcelle par parcelle qu’il faut agir, localement. Si chaque parcelle se développe avec un respect écologique maximum (sans pesticides, SDHI-fongicides ou intrants qui font courir des risques à notre santé), notre terre soignée dans le respect de la biodiversité pourra donner le meilleur d’elle-même. Une tâche difficile et de longue haleine. Il y a déjà la lutte à mener contre les excès/méfaits de la nature (trop de pluie et on ne peut plus semer ; trop de vent et le blé versé est rétif à la moisson ; trop de soleil et tout crame).

De fait, 60 % des terres agricoles sont louées. Le fermier locataire peut « utiliser la terre à sa convenance sous réserve de ne pas la dégrader » (Chemins de terre, n°11, 1er septembre 2019). Un bail rural à clause environnementale (BRE), instauré en 2006, garantit la valeur environnementale des terrains. Il inscrit dans la gestion foncière une « pratique culturale vertueuse » : protéger les aires de captage, interdire la modification de la nature, de la structure du sol et des parcelles, de retourner les prairies permanentes, etc. Des engagements qui peuvent désormais être prévus par le bail. Aux deux bouts de la chaîne, bailleur et preneur (soit propriétaire et locataire), peuvent choisir de préserver la terre et de participer à « l’installation d’une agriculture écologiquement soutenable et socialement responsable ». Certains locataires opposent à cette démarche la rentabilité de l’exploitation ou les normes agricoles d’épandage (réglementation de distance et de période d’épandage).

Terre de Liens l’a bien compris en invitant à « changer notre rapport à la propriété foncière ». Rajoutons qu’il faut le faire avant qu’il ne soit trop tard ! Avant que le sol d’Europe se mue en désert ou se laisse pénétrer par la montée des eaux de mer et de fleuve (voir les projections inquiétantes de l’Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique). Rien n’est donc facile pour faire « pousser des fermes ».

Tant de questions, en apparence minimes, se posent au coup par coup. Elles concernent d’abord le sol en soi : où sont les zones de captage d’eau souterraines AAC ? (Il y en a 30 000 en France). Quels sont les 500 captages dits de Grenelle où les eaux sont les plus menacées de pollution ? Les parcelles concernées par une transmission sont-elles dans le périmètre de captage ? Quel est l’état des sols ? Comment réorienter les cultures avec une volonté de transition écologique ? Elles concernent ensuite les rapports entre agriculteurs : quelle possibilité de modifier un bail entre propriétaire et locataire? quel droit de fermage sur les terres consenties ? quelle responsabilité sur le maintien des terres en l’état ? Comment organiser au mieux la transmission des terres dans et hors de la famille ? Certains paysans se veulent éleveurs ou brasseurs, etc., volonté à inscrire dans l’avenir possible agricole… De surcroît, un projet associatif est – comme tout projet – lié à des personnes parfois changeantes. Nul n’échappe aux aléas humains de toute « prise de terre ». Les bénéficiaires concernés changent d’avis. Les couples installés n’en profitent pas, battent de l’aile ou se défont. Voilà qui met des bâtons dans les roues du projet. Terre de Liens n’est pas un magicien, mais parvient parfois à « permettre le maintien d’une ferme après une séparation ». Une petite victoire, mais déjà un vrai commencement.

Pour ce faire, Terre de Liens propose de s’impliquer dans sa démarche « vertueuse » de la façon qui convienne à chacun : être simplement adhérent, se muer en donateur, placer son épargne en souscrivant à l’achat d’« actions solidaires ». Ou d’être un bénévole – c’est-à-dire celui qui est de « bonne volonté » – qui s’intègre à un réseau pour passer à l’action. Une façon aussi d’être créateurs pour une terre d’avenir.

(1) Du latin benevolus, venant de bene (bien) et de velle (vouloir). Le bénévole rend des services « envers autrui, de plein gré et sans rémunération ».

(2) Sous forme de SCI, de GFA – Groupement foncier agricole – ou de SCIC – Société coopérative d’intérêt collectif.

Pour en savoir plus : www.terredeliens.org