Le bonheur était pour demain (les rêveries d’un ingénieur solitaire) par Philippe Bihouix

Dans son dernier livre, Philippe Bihouix complète son analyse antérieure des techniques douces. Ce qui de Thomas More à Gordon Moore sous-tend son raisonnement, c’est l’opposition entre les fausses utopies et le réalisme nécessaire aujourd’hui pour faire face à l’urgence écologique. Il bataille contre le techno-solutionnisme et fait une analyse bien documentée des hyperloop et autres fantasmes comme la conquête d’exoplanètes. Nous n’arriverons pas à bouger la terre pour la mettre en orbite autour d’un soleil de rechange ! Ses arguments sont toujours étayés de façon précise, il constate par exemple qu’un million de véhicules autonomes exigeraient autant d’échanges de données que trois milliards de personnes connectées sur leurs tablette. Impossible à mettre en œuvre ! Il analyse bien d’autres aspects des débats contemporains comme l’eugénisme, le transhumanisme ou le malthusianisme. C’est d’ailleurs un des rares intellectuels français à penser qu’il y a surpopulation : « C’est malheureusement mathématique. S’il y avait seulement un million de Terriens, chacun pourrait se permettre d’avoir une empreinte écologique cent fois supérieure à celle d’aujourd’hui. A douze ou quinze milliards, il faudra au contraire se serrer violemment la ceinture, surtout s’il faut laisser quelque place à une nature résiduelle environnante. (page 227) » 

Philippe Bihouix reste modeste : « Qui suis-je, ingénieur solitaire, passant quelques heures face à mon ordinateur, pour donner des leçons d’efficacité politique ? (page 318) » Mais on ne peut que constater avec lui que s’accorder sur une plate-forme commune tient de la mission impossible tant les querelles de chapelle sont légion et les messages noyés dans un flot continu d’informations de toutes sortes. Son ouvrage est profondément lucide, donc foncièrement pessimiste. Il nous faudrait « simplifier » le monde, tâche herculéenne. Il est aussi nécessaire de traiter nos problèmes au plus proche de leur source car mieux vaut éviter que réparer ; nous faisons le contraire. Il ne voit pas beaucoup d’autres solutions à l’impasse dans laquelle nous sommes entrés à vive allure si ce n’est le retour de la vertu, agir sans attendre de résultats immédiats : « Ce qui compte, c’est l’esprit » (dernier chapitre page 345 à 366). A l’heure où homo sapiens fait plutôt penser à l’homo demens, c’est une conclusion pragmatique. Un livre qui fait réfléchir, à lire attentivement pour mieux comprendre avant d’agir.


Éditions du Seuil, collection Anthropocène, 374 pages 19 € – www.seuil.com
Contact presse : Josépha Mariotti. Tél.: 06 15 21 18 07
(Michel Sourrouille)