Alexandre Grothendieck – Sur les traces du dernier génie des mathématiques par Philippe Douroux

grothendiecktSaluons la parution de ce livre, le premier en France à être consacré à celui qui fut sans doute le plus grand mathématicien du XXe siècle et l’un des précurseurs de l’écologisme. Journaliste à « Libération », Philippe Douroux a passé quatre ans à enquêter sur ce personnage atypique, né en 1928 et mort en novembre 2014. Il nous narre l’enfance chaotique de ce fils d’un juif anarchiste russe, mort à Auschwitz-Birkenau, et d’une socialiste révolutionnaire de Berlin. Pendant la Seconde Guerre Mondiale, Alexandre Grothendieck est d’abord enfermé avec ses parents au camp du Rieucros, en Lozère, avant de trouver refuge à partir de 1942 au Collège Cévenol du Chambon-sur-Lignon. C’est là qu’il développe sa passion pour les mathématiques et découvre comment calculer la circonférence d’un cercle. Après la Guerre, Alexandre Grothendieck devient bientôt l’une des étoiles montantes de l’école mathématique française, notamment au sein du mythique groupe Bourbaki qu’il intègre au début des années 1960. En 1966, il reçoit la Médaille Fields, équivalent du Nobel pour les mathématiques, qu’il refuse d’aller chercher au Congrès mondial de maths de Moscou, par solidarité avec les dissidents Siniavski et Daniel, emprisonnés par le régime de Brejnev. Mais c’est un voyage au Vietnam (alors sous les bombes américaines) fin 1967, et plusieurs séjours aux États-Unis en pleine révolution contre-culturelle qui vont sensibiliser ce « professeur Nimbus », uniquement préoccupé par son travail scientifique, à la politique et à ce qu’on n’appelle pas encore l’écologie…

Au début des années 1970, Alexandre Grothendieck fonde le mouvement Survivre (avec plusieurs collègues mathématiciens, dont Pierre Samuel, père de l’auteur de ces lignes, qui était membre des JNE) et démissionne de l’Institut des hautes études scientifiques de Bure-sur-Yvette, dont il a découvert tardivement le financement partiel par le ministère de la Défense, une horreur pour ce pacifiste. Dès 1973, il rompt avec le militantisme écologiste, trouve un poste à la fac de Montpellier et se retire loin du monde dans une maison près de Lodève. Après avoir pris sa retraite, il s’installe en 1991 dans un village de l’Ariège, où il vit en ermite, refusant même de voir ses enfants. Il s’y livre à une intense activité d’écriture de textes la plupart du temps assez ésotériques, mais aussi (comme on le découvrira surtout après son décès) à d’intenses travaux mathématiques.

Ce livre de Philippe Douroux est précieux en ce qu’il nous fait mieux saisir la personnalité intense et tourmentée de Grothendieck et l’importance de son œuvre mathématique. On regrettera le sous-titre à l’emporte-pièce (Grothendieck est le « dernier génie des mathématiques  »… jusqu’au prochain !), l’affirmation selon laquelle ses recherches auraient permis le développement d’Internet, qui auraient bien fait rire l’intéressé, l’absence de bibliographie et le passage laissant entendre sans preuves que Grothendieck aurait « pu croiser » en 1969 le mathématicien Theodore Kaczynski, alias « UnaBomber », théoricien et praticien de l’éco-terrorisme. Mais surtout, il est dommage que la dimension écologiste du personnage de Grothendieck ne soit pas davantage creusée. Pour cela, mieux vaut lire le livre de Céline Pessis, « Survivre et vivre – Critique de la science, naissance de l’écologie », paru aux éditions l’Échappée (lire ma recension ici).


Allary Éditions, 274 pages, 18,90 € – www.allary-editions.fr
Contact presse : Élisabeth Tretiack Franck. Tél.: 06 84 97 65 56 – elisabethtretiackfranck@yahoo.fr
(Laurent Samuel)