Ecologie ou politique ?

Voici un résumé de l’émission Agora de France Inter avec Stéphane Paoli, diffusée le 10 avril 2016 de 12 à 13 h.

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par Roger Cans

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Stéphane Paoli  recevait Noël Mamère (auteur de Changeons de système, pas le climat, Flammarion) et Dominique Bourg (auteur du Dictionnaire de la pensée écologique, PUF).

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Noël Mamère : L’excellence écologique vantée par Ségolène Royal est une imposture politique. J’en tombe de l’armoire. Ségolène vante la transition énergétique alors qu’il n’est jamais question du nucléaire !

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Dominique Bourg : L’écologie est politique. Si vous avez un été 45° C à Paris pendant plusieurs jours et une sécheresse qui anéantit les récoltes, vous serez atterrés. Le problème, avec le changement climatique, c’est qu’il faut faire face à un danger lointain, abstrait. On se dit : rien n’aurait changé si je n’étais pas né. Gouverner, c’est prévoir. Or la dégradation de l’environnement n’est jamais immédiate. Lorsqu’on la découvre, c’est trop tard, elle est irréversible. La solution, c’est réduire les flux, mais ce n’est pas payant électoralement.

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NM : Lorsque je participais au journal télévisé, en 1986, j’ai connu l’épisode de Tchernobyl, quand le professeur Pellerrin, du SCPRI, affirmait qu’il ne se passait rien en France, alors que la Suède et l’Allemagne sonnaient l’alerte sur toute l’Europe. Aujourd’hui, on est submergés de nouvelles en continu, ce qui brouille le message. Le journalisme est plus dans le suivisme que dans l’anticipation. S’agissant des pesticides, la Gironde est le département qui en consomme le plus en France. 95 % est le fait des viticulteurs. Le journal Sud-Ouest vient de publier un article qui signale que 135 écoles sont contaminées aux abords des vignobles, d’où un taux de cancer record chez les enfants. C’est comme pour l’amiante, dont les promoteurs, aidés par une presse complice, affirmaient que c’était un matériau indispensable et sans danger.

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thStéphane Paoli : On dit que le mammouth n’effraie les gens que sur l’instant, quand ils le voient devant eux. Mais si le danger est pour dans dix ans, on s’en fiche.

DB : Depuis les années 1970, on s’aperçoit que l’accumulation de biens ne crée plus de bien-être, au contraire. La Fontaine l’avait déjà dit dans la fable Le savetier et le financier. La croissance, tant prônée par nos gouvernants, n’apporte plus les fruits qu’on en attendait. La limite est dépassée.

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NM : Le temps politique n’est pas le temps écologique. Une politique publique doit dépasser l’échéance électorale, quitte à être sanctionnée par l’électeur. Je constate tout de même un progrès de l’écologie dans la société française. C’est l’écologie politique qui a instillé le virus, même si les Verts ont tout gâché après.

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DB : Vous dites (Stéphane Paoli) que la prise de conscience est venue après Hiroshima. Pas du tout. En dehors de Camus, tout le monde a salué la prouesse scientifique qui a mis un terme à la guerre. Il y a toujours eu un grand décalage entre les lanceurs d’alerte et la conscience publique. Le Printemps silencieux de Rachel Carson est paru en 1962. Et on ne commence qu’aujourd’hui à alerter les Français sur le danger des pesticides. Je connais mieux les Verts suisses que les Verts français. Mais je constate que, en France, on est passé de René Dumont à Jean-Vincent Placé ! Et pourtant, vous avez eu Charbonneau. La France a organisé la COP 21, et plus rien après.

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NM : Bernard Charbonneau est ce prof de Bordeaux qui, en 1935, avec Jacques Ellul, a publié les Directives pour une révolution personnaliste. J’ai suivi les cours de Jacques Ellul à la fac. C’est lui qui a souligné le danger de la technique, qui peut induire une servitude volontaire. En construisant des bagnoles, on construit une société. Ce que disait Pompidou : « il faut adapter la ville à la voiture ». Les zadistes sont-ils dangereux ? Ils ne représentent qu’un élément de ces multiples initiatives minuscules qui se battent pour une cause. La difficulté est d’articuler ces initiatives spontanées avec la politique. On assiste à une lutte entre les autogérés du « commun » et les politiques, soudain désemparés. On peut faire la révolution sans le sang et les larmes.

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SP : certains, contre l’extinction des espèces, envisagent de prolonger indéfiniment la vie humaine, ce qu’on appelle le transhumanisme.

DB : Le transhumanisme est une vaste blague. En revanche, les extinctions d’espèces se multiplient à un rythme effrayant. Il suffit de constater que l’on ne trouve pratiquement plus d’insectes écrasés sur les pare-brise. Nous nous comportons comme des fous, qui courons après de faux bénéfices.

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NM : Il faut parvenir à une prospérité sans croissance, comme le disent les Anglo-Saxons. Et il faut réduire les inégalités, qui ont des conséquences sur la santé publique (obésité, diabète). Aux Etats-Unis, le pays le plus riche du monde, l’espérance de vie est inférieure à celle de la Grèce ou de l’Espagne ! La question que l’on doit se poser est « Qu’est-ce qui nous est commun ? ». On doit se parler, comme aux « nuits debout ».

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(Reportage sur l’habitat participatif à Montreuil, le «XXIe arrondissement» de Paris.)

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NM : en 2009, j’ai fait une proposition de loi sur l’habitat coopératif. A Bègles, nous avons un seul immeuble de ce genre, mais habité par dix propriétaires. On y a imposé une chambre d’amis unique, partagée par les résidents.

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DB : la loi pousse souvent à l’égoïsme. J’utilise Blablacar, car je n’ai pas de voiture. Cela m’a permis de rencontrer des gens que je n’aurais jamais rencontrés autrement.

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Après le journal de 13 h, Stéphane Paoli revient sur le mot « plèbe », employé par Noël Mamère, malgré sa connotation péjorative.

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NM : dans la Rome antique, la plèbe était le groupe de citoyens qui ne voulaient pas payer l’impôt pour faire la guerre. Son représentant s’était retiré sur l’Aventin, où des discussions ont alors eu lieu avec les Patriciens. C’est un peu le cas des Indignés et de tous ces gens qui refusent le système sans trop savoir quoi faire pour le changer. Faut-il rester dans une protestation diffuse, sans chef, ou bien désigner un représentant ? Personnellement, je ne crois pas à la démocratie directe, qui peut être dangereuse.

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SP : si l’écologie est de gauche, comment s’accommoder d’une alliance avec le PCF, qui est productiviste ?

NM : le PCF est productiviste, mais aussi le PS. L’écologie ne peut être de gauche que si elle invente une nouvelle gauche. « Il faut sortir de l’entre soi » et aller à la rencontre de tous les « invisibles», y compris en milieu rural.

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SP : on vous a vu Place de la République à Paris avec Nuit debout. Avez-vous été manifester sous les fenêtres de Manuel Valls ?

NM : je suis allé Place de la République avec ma femme, mais je ne suis pas allé sous les fenêtres de Manuel Valls. Nous sommes rentrés avant. Ce qui ne m’empêche pas de juger sévèrement le cynisme de nos dirigeants politiques, qu’ils appellent « pragmatisme». La gauche, ce n’est pas la peur de l’autre, mais l’utopie, la poésie, le rêve. La gauche de gouvernement a été contaminée par le libéralisme et les manœuvres de triangulation de François Hollande. Mélenchon ? Je ne peux accepter son anti-germanisme et son anti-européisme systématiques. Nicolas Hulot ? C’est le mieux placé d’entre nous, écologistes, pour nous représenter en 2017. Pourtant, je ne suis pas de son 1er, 2ème, ni 3ème cercles, puisque j’avais soutenu en son temps Eva Joly contre lui. Les écologistes ont vocation à se présenter à la présidentielle, comme ils l’ont toujours fait depuis René Dumont en 1974. J’espère que Nicolas Hulot va y aller, sans passer par les primaires, que Cohn-Bendit proposait il y a peu avant d’y renoncer aujourd’hui ! Juppé ? Je le connais bien. C’est un homme de droite. Macron ? Ce n’est qu’une construction, ce qui est le pire en politique. La gauche de gouvernement prend ses idées à droite. Valls est un néo-conservateur, Macron est un libéral. La formule « ni de droite ni de gauche » est un enfumage. Comme autrefois Michel Jobert, qui était « ailleurs ». La gauche, c’est une famille politique soucieuse du « commun », j’y tiens. Ce n’est pas celle d’aujourd’hui, qui envoie des troupes en Afrique, comme du temps des colonies, et qui soutient Sassou Nguesso, l’homme qui garde pour lui l’argent du pétrole au Congo Brazzaville.

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Oui, beaucoup de jeunes votent aujourd’hui Front National. Il faut donc aller les chercher, leur parler, restaurer l’estime de soi. La haine de soi débouche sur la haine des autres. Panama papers ? On n’a pas appris grand-chose, sinon que la fraude est devenue industrielle. Au Parlement européen, Pascal Canfin s’était battu contre cette criminalité en col blanc. L’Europe peut être un outil qui nous protège. Oui, hélas, l’optimisation fiscale ou même la fraude sont bien vues en France. Balkany est constamment réélu. Il faudrait que le FMI, au lieu d’imposer des ajustements structurels aux pays pauvres, devienne un régulateur qui n’hésite pas à sanctionner les pays riches.

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Vous pouvez écouter cette émission en cliquant ici.

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