Fukushima, Tchernobyl, deux aspects de la même angoisse

 


par Claude-Marie Vadrot
Vadrot

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Jamais il ne me sera possible d’oublier la ville de Pripiat de 50 000 habitants, près de Tchernobyl, peu à peu dévorée par les arbres qui grimpent à l’assaut d’immeubles de dix étages. Une ville vouée au silence et parcourue à l’aube par des élans ou des chevaux sauvages dont les sabots résonnent sur le pavé le matin à l’aube ou à la tombée de la nuit. Restent aussi dans ma mémoire les routes mangées par la végétation, les isbas qui s’écroulent peu à peu. A chacune de ma quinzaine de déambulations depuis 1987 dans les rues de cette Pompéi de l’ère moderne, l’angoisse et l’émotion étaient au rendez-vous.

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Pas plus que je ne peux oublier mes amis ingénieurs morts au cours des années 90 pour avoir participé à la mise en place du sarcophage et déployé de vaines tentatives pour explorer et déblayer le cœur du réacteur de ses débris tordus. Sans omettre tant de visites à l’hôpital de Kiev où ont été soignés ou sont encore malades des suites de l’irradiation, des habitants de la région. Ils hantent ma mémoire. Tout comme ceux, négligés par le pouvoir en place, dans la partie de la Biélorussie également gravement affectée par la catastrophe. Le nombre des morts et des malades restera à jamais inconnu. Comme au Japon.

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En parcourant les villages et champs de abandonnés de la partie du département de Fukushima, j’ai constamment pensé aux dégâts subis par l’Ukraine en me demandant au nom de quel déni politique et technocratique, les autorités japonaises s’obstinaient à nier les dégâts et à inciter les populations exilées à revenir dans les quelques zones ré-ouvertes à leurs habitants. Sans réussir à les convaincre qu’ils peuvent y vivre sans danger et en consommant les produits agricoles locaux. Sans que les communes ne puissent rendre habitables les milliers de maisons délaissés dans l’urgence et qui commencent déjà à être recouvertes par la végétation luxuriante de cette zone subtropicale.

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Autant, grâce à Mikhaïl Gorbatchev et ensuite aux pays européens, les secrets de l’accident et de ses conséquences ont été peu à peu levés, autant les autorités japonaises s’obstinent à annoncer un prochain retour à la normale ; alors que les réacteurs endommagés sont toujours hors de portée des ingénieurs parce que les émanations radioactives les empêchent d’approcher et même de réparer les bâtiments sinistrés.

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Mais il est vrai qu’en dépit des exigences de la conférence des habitants organisée le 10 février dernier à Iwaki, près de la frontière de la zone interdite, le gouvernement du Japon se refuse à envisager l’arrêt définitif des six réacteurs encore opérationnels (mais à l’arrêt) dans le département de Fukushima. Simplement parce qu’il aurait besoin de leur électricité pour alimenter les Jeux Olympiques d’été qui auront lieu à Tokyo en 2020.

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Ces deux accidents, comme celui de Three Mile Island dans les années 70 aux Etats-Unis, rappellent à quel point les catastrophes nucléaires ont des effets à très long terme sur les êtres humains et l’environnement. Mais il est vrai que, généralement, ils sont simplement considérés comme impossibles. Sauf pour le directeur de l’Autorité de sûreté nucléaire française, Pierre-Franck Chevet, qui a avoué récemment : « Oui, il y en aura. Il faut imaginer qu’un accident de type Fukushima puisse survenir en Europe. Je ne sais pas donner la probabilité et on fait un maximum pour éviter que ça arrive, mais malgré tout, on pose le principe que ça peut arriver » (lire ici son interview dans Libération). Mais en France, EDF et le gouvernement restent sourds à tous les avertissements tandis que les adversaires rétrogrades des éoliennes se déchaînent à nouveau avec le vote par le Sénat d’un amendement à la loi de transition énergétique du sénateur « Les Républicains » Gilles Barbier visant à réduire les installations d’aérogénérateurs (lire ici l’article de Claude-Marie Vadrot sur le site de Politis).

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Ancien Président des JNE, Claude-Marie Vadrot collabore notamment à Politis et Médiapart. Cet édito, comme tous ceux de ce site, n’engage que son auteur.

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