Chasse : entourloupes en Guadeloupe

Béatrice Ibéné, entre autres docteure vétérinaire et grande spécialiste guadeloupéenne des grenouilles et des chauves-souris, est en colère. Elle nous a fait parvenir sa lettre de démission de la CDCFS (Commission Départementale de la Chasse et de la Faune Sauvage), car là comme ailleurs, la biodiversité peut se voir sacrifiée pour le seul profit de quelques chasseurs. L’enjeu : la survie d’un oiseau rare, la grive à pattes jaunes, et… la santé publique.

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par Marc Giraud

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Madame la Préfète de la Guadeloupe,

Monsieur le Secrétaire Général de la Préfecture,

Monsieur le Directeur de la DEAL,

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Grive à pattes jaunes - dessin extrait de Raphaele et al, 2003
Grive à pattes jaunes – dessin extrait de Raphaele et al, 2003

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Consternée par l’évidente collusion entre les représentants de l’Etat et la fédération des chasseurs et refusant par ma présence, de cautionner ce genre de mascarade et un résultat manifestement acquis d’avance, je vous informe de ma décision de démissionner de la Commission Départementale de la Chasse et de la Faune Sauvage dont la seule fonction est d’entériner des accords préalables ; ce, au mépris des plus élémentaires mesures de préservation des espèces endémiques.

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Pour satisfaire le seul plaisir de tuer, des chasseurs, vous allez de nouveau autoriser l’abattage de grives à pattes jaunes dans la région dite du “croissant bananier”, alors que leur consommation est interdite du fait de l’imprégnation potentielle par la chlordécone.

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Cette espèce forestière est endémique de 4 îles seulement des Petites Antilles, dont Sainte-Lucie, où elle est extrêmement rare. Elle existe donc dans ces îles et nulle part ailleurs au monde. Elle bénéficie naturellement d’une protection légale forte dans les 3 autres îles où elle est présente. L’espèce est classée menacée à l’échelle mondiale par l’UICN (statut vulnérable) et à l’échelle locale par le Comité français de l’UICN, organisme dont le ministère de l’Ecologie est membre pour la France (statut également vulnérable).

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Il est admis que les organochlorés, dont fait partie la chlordécone, sont des perturbateurs endocriniens extrêmement délétères pour les fonctions de reproduction des oiseaux. La contamination avérée des populations de grives à pattes jaunes du croissant bananier par ce pesticide, constitue donc un facteur de menace supplémentaire pour la survie de l’espèce.

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De plus, de récentes études tendent à prouver que les populations de grives à pattes jaunes ont peu d’échanges génétiques entre elles. Ce relatif  “isolement génétique” fait que :

– l’adaptabilité de l’espèce aux changements constants de son environnement est amoindrie,

– l’expression des gènes délétères est facilitée,

– et la vulnérabilité aux agents pathogènes est largement accrue.

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Malgré tous ces éléments que vous ne pouvez ignorer, vous allez maintenir l’autorisation de chasse sur ces populations déjà affectées. Cette décision obère l’avenir de l’espèce dans cette région contaminée par la chlordécone pour 100 à 650 ans, selon la nature des sols.

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L’urgence de la mise en place d’une protection légale intégrale de la grive à pattes jaunes, ainsi que le refus de considérer ce “patrimoine commun de la nation”, comme étant susceptible d’appropriation par une catégorie d’intérêts particuliers,me conduiront à l’avenir à privilégier d’autres modes d’action qui je l’espère, seront plus efficaces.

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Avec mes regrets, je vous prie de croire Madame la Préfète, Monsieur le Secrétaire Général, Monsieur le Directeur, en l’expression de ma parfaite considération.

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Béatrice Ibéné

Dr Vétérinaire

Naturaliste

Membre de la CDCFS depuis 2005 en tant personnalité qualifiée “spécialiste des espèces menacées” (Thèse de Doctorat vétérinaire sur la conservation de la faune sauvage de l’archipel guadeloupéen).

Membre assesseur du Global Amphibian Assessment de la Commission de Sauvegarde des Espèces de l’Union mondiale pour la Conservation de la Nature (UICN) pour les îles de la Caraïbe.

Présidente de l’Association pour la Sauvegarde et la réhabilitation de la Faune des Antilles, l’ASFA – www.faune-guadeloupe.com

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“Mâ en woch”
Morne Burat
97180 Sainte-Anne
Guadeloupe
Tel : 0690 64 67 00
Fax : 0590 23 05 95

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