Biobernai 2012 – Le parc naturel régional des Ballons des Vosges victime de son succès ?

Dans le cadre d’un voyage organisé à l’occasion du salon BiObernai, plusieurs journalistes des JNE ont visité le 15 septembre 2012 le parc naturel régional des Ballons des Vosges. L’occasion de faire le point sur les problèmes posés par la surfréquentation touristique, ainsi que sure le sort du lynx et du grand tétras.

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par Roger Cans

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Nous sommes accueillis à la mairie de Thannenkirch (Bas-Rhin) par le maire Hubert Bihl et des responsables du parc naturel régional des Ballons des Vosges et du parc naturel régional des Vosges du Nord. Thannenkirch (l’église des sapins) est un charmant village situé à moins de 500 m d’altitude, au pied d’un massif de grès et de granite qui culmine à 950 m, le Taennchel.

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Le parc naturel régional des Ballons des Vosges

 

Claude Michel, chargé de mission au Parc naturel du Ballon des Vosges, Hubert Bihl, maire de Thannenkirch, et des membres de l’association Les Amis du Taennchel – photo Michel Gunther

 

Traditionnellement, la randonnée dans les Vosges était encouragée par les membres du Club Vosgien, qui ouvraient sentiers et chemins dans la montagne pour le confort et le plaisir des promeneurs.Aujourd’hui, la politique du parc régional des Ballons des Vosges, où nous nous trouvons, est dictée par le souci d’éviter la surfréquentation. Car c’est pratiquement un parc périurbain, fréquenté par les gens de Colmar, de Sélestat et aussi par les randonneurs suisses et allemands. Le parc des Ballons des Vosges, qui comprend 60 % de forêt, est relativement peuplé (85 habitants au km2, alors que la moyenne des parcs est de 15 habitants). Le massif du Taennchel, en particulier, qui forme un promontoire au milieu de la plaine, attire beaucoup les randonneurs.

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C’est pourquoi les responsables du parc ont entrepris de fermer certains chemins et sentiers afin de préserver la tranquillité de la faune sauvage. Car vivent là plusieurs espèces rares comme le lynx, le grand tétras, la gélinotte, la chouette de Tengmalm et le grand corbeau.

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Un quart du parc est classé en zone Natura 2000. Chaque fois qu’ils le peuvent, les animateurs du parc accueillent les gens en bas du massif, afin de les guider selon des itinéraires peu dérangeants. La réserve naturelle du Tanet-Gazon du Faing (505 hectares) est elle-même cernée par deux corridors très fréquentés : la route des crêtes et le GR5, sans compter les pistes qui sont damées l’hiver pour la pratique du ski de fond.

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A la surfréquentation s’ajoutent l’exploitation forestière et la chasse. Sur le versant lorrain du parc, la forêt est surtout domaniale. Sur le versant alsacien, la forêt est soit privée, soit communale. Pour bien faire, on devrait arrêter l’exploitation du bois sur le massif du Taennchel. Mais c’est trop demander aux parties prenantes. Seule concession : 2.000 hectares ont été classés en réserves naturelles intégrales et des « îlots de sénescence » (pas de coupe durant 30 ans) ont été créés grâce au programme européen Life. Quant à la chasse, il n’est pas question de la limiter, car elle offre deux avantages : les recettes (16.000 euros par an pour la seule commune de Thannenkirch), et la régulation des sangliers, qui sont une nuisance pour tout le monde. Afin de trouver ses protéines, le sanglier adore en effet labourer les prairies à la recherche de vers de terre, au détriment des éleveurs. Et il adore aussi le maïs, au détriment des cultivateurs… et des chasseurs obligés de rembourser les dégâts. On essayait naguère d’agrainer pour attirer les sangliers, mais c’est aujourd’hui une pratique révolue dans le périmètre du parc (50.000 hectares).

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Le cas du grand tétras et du lynx

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Avant 1976, alors qu’il était encore chassé, on comptait 250 couples de grands tétras (ou coqs de bruyère) sur les 50.000 hectares du parc (dont la forêt de Haguenau). On n’en compte plus que 50 couples aujourd’hui, alors qu’il y a encore 350 spécimens en Forêt Noire, de l’autre côté de la vallée.

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Oiseau mythique, le grand tétras reste dans l’esprit des gens « l’espèce royale », l’oiseau qu’on tire une fois dans sa vie. Aujourd’hui, ce n’est plus sa chasse qui le menace, mais le dérangement, en particulier l’hiver lorsque les randonneurs en raquettes sillonnent ses lieux de repos. Durant la saison hivernale, en effet, le grand tétras ne mange plus que des aiguilles de sapin, peu nourrissantes, et il reste perché dans le même arbre. S’il est dérangé, il dépense une énergie qu’il n’a plus et risque sa vie. Dans le massif du Taennchel, pourtant propice à son habitat (hêtraie-sapinière à gros arbres, forêt claire et sous-bois à myrtilles), il n’en reste plus qu’un ou deux couples. On mise beaucoup sur les îlots de sénescence pour le voir revenir…

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Quant au lynx, encore plus discret que le grand tétras, il a été réintroduit à partir de 1983 dans les Vosges, précisément par les agents de l’Office national de la chasse alors basés à Thannenkirch. Au total, entre 1983 et 1993, il a été relâché 21 lynx (importés de Slovaquie). Au début, ils étaient suivis par collier émetteur. Aujourd’hui, c’est fini. Ses proies favorites : chevreuils et chamois. A la différence du Jura, où il y a entre 80 et 100 individus, on n’a pas noté de mort par collision sur la route de nuit dans les Vosges. Depuis le retour du lynx en Suisse, il y a eu 46 victimes de la route. « Ici dans les Vosges, c’est le braconnage qui tue le lynx ». Curieusement, jamais les chasseurs ne mentionnent la rencontre d’un lynx, alors qu’ils arpentent la forêt en même temps que sortent lynx et chevreuils… Un couple de loups est présent dans le massif (ils ont répondu à l’appel). Ils auraient quelque 150 moutons à leur « actif ». Dans les Vosges, le mouton est très vulnérable car il est élevé dans de petits enclos, sans berger ni chiens.

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Après un copieux repas alsacien (avec sanglier en daube) à l’auberge Melkerhof (la laiterie), nos hôtes nous emmènent à l’assaut du Taennchel, en guise de promenade digestive. Nous traversons de grandes sapinières plantées par des privés (sapins, douglas ou pins noirs), puis des forêts communales « jardinées », avec sapins, hêtres, pins sylvestres et érables sycomores.

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Nous marchons dans des chemins ou sentiers semés de granite décomposé, assez raides. Puis c’est le sentier de crête, pratiquement horizontal. Superbe balcon sur la plaine d’Alsace, avec ses chaos rocheux de grès ou de granite. Nous nous regroupons pour finir au refuge du Kutzig Buech (hêtre échevelé), étiqueté 945 m. Et nous redescendons par des sentiers plus raides encore pour regagner Obernai et son salon bio.

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