L’Agenda 21 du Pays Voironnais

 Le Pays Voironnais (CAPV), qui compte 34 communes au nord de Grenoble (Isère), a décidé en 2010 de se doter d’un Agenda 21.

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par Jean-François Noblet

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Cette collectivité de 95 000 citoyens a voulu faire les choses en grand : choix d’un prestataire spécialisé et concertation modèle. Ainsi un budget important a été adopté (400 000 € ) et le bureau d’étude principal (Les développeurs associés) a proposé une méthodologie ambitieuse pour parvenir en deux années à l’adoption de mesures et d’actions d’un agenda 21 pour un coût de 77 000 €. Nous avons pu suivre cette démarche innovante.

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Planning durable

Tout d’abord, le 4 octobre 2010 s’est tenue à Moirans le premier forum public présentant l’opération. La foule des grands jours était là. J’y étais et je vous raconte :

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Tout d’abord, nous avons eu droit à un discours de bienvenue du maire de Moirans (38) qui est rapidement devenu une illustration politique des contradictions flagrantes entre ce qu’un élu peut déclarer comme bonnes intentions et ce qu’il fait en réalité sur son territoire. En effet, nous n’avons pas eu la cruauté de lui rappeler qu’il venait de perdre un procès au tribunal administratif car son Plan Local d’Urbanisme prévoyait, entre autres, de supprimer tout simplement la moitié d’un boisement relique de 17 hectares !

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Ensuite, Anne Pisot du bureau d’étude a présenté la démarche adoptée par la CAPV pour son agenda 21 :

– De septembre 2010 à mars 2011 le bureau d’étude établit un diagnostic du territoire,

– D’avril 2011 à juin, on définit les axes stratégiques,

– De juillet à mars 2012, on précise le plan d’actions,

– D’avril 2012 à juin 2012, le bureau rédige l’Agenda 21 avec ses mesures.

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Plusieurs instances sont créées : une conférence citoyenne de 40 volontaires *, un atelier d’acteurs (professionnels, experts qualifiés et représentants officiels d’organismes importants) et des forums participatifs, ouverts à tous, sont prévus. Un chapitre spécialisé est tenu à jour sur le site internet de la CAPV.

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Ensuite, des témoins choisis par la CAPV sont venus montrer leur intérêt pour la démarche : l’association Les Jardins de la solidarité a présenté son entreprise de réinsertion autour d’un jardin bio et le directeur de l’usine Vertaris sa production de papier recyclé. (Entre parenthèses, celui-ci était moins fier quand je lui ai montré, à la sortie de la réunion, une photo d’un ruisseau complètement pollué en aval de son usine !)

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Bref, on a eu droit à une superbe mise en scène, avec un animateur formidable (crieur public de son métier), et une avalanche de belles intentions. On nous avait promis du débat mais, faute de temps disponible, celui-ci fut tellement limité que nombre de participants sortirent de sa salle en pensant que l’affaire était pliée et que leur contribution n’aurait pas forcément d’intérêt. Dommage…

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Concertation durable ?

Ayant été choisi comme membre de l’atelier d’acteurs, je suis donc intégré dans la procédure et j’assiste, autant que possible, aux réunions de travail. A vrai dire, depuis le début, je ne suis pas convaincu par la manière de faire.

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Rappelons,pour mémoire, que le développement économique durable s’appuie sur la prise en compte de l’environnement et des questions sociales dans une gouvernance améliorée.

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Tout logiquement, il me paraissait fondamental de commencer la démarche Agenda 21 avec un diagnostic détaillé du territoire. J’ai donc été stupéfait de constater l’extrême indigence du rapport proposé par le bureau d’étude à l’issue de la première phase du travail. Quasiment rien sur les pollutions nombreuses et variées qui affectent la santé des habitants, très peu d’éléments précis sur la biodiversité du territoire. Malgré mes interventions la procédure s’est poursuivie sur une base incomplète et on partagée en matière d’environnement, de ressources naturelles et de pollutions. On verra par la suite quelles en seront les conséquences.

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J’ai donc participé à différentes réunions : forums participatifs, ateliers d’acteurs en me posant de drôles de questions. En effet, j’ai souvent eu la nette impression de me faire manipuler par un bureau d’étude qui avait une idée précise du contenu final à donner et qui, à travers des exercices de concertation dirigée, nous orientait en permanence vers les axes de stratégie ou les questions qu’il avait choisis. Ainsi, on voyait apparaître des points non évoqués dans les débats et en disparaître certains. Mais tout ceci se faisait dans une ambiance conviviale et dans un grand laps de temps et finalement chacun s’accommodait de cette situation tant bien que mal.

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Personnellement, je me suis interrogé sur le rôle des élus dans cette procédure : sont-ils associés ? Comment interviennent-ils ? Seront-ils engagés par la démarche et ses résultats que certains critiquent déjà ouvertement ? Il s’avère, après enquête, que les élus de la CAPV suivent attentivement la procédure et qu’ils ont la possibilité, chaque mois, d’intervenir dans le contenu des propositions.

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Il apparaît clairement que le rôle des techniciens de la CAPV participants à l’atelier d’acteurs pose également question car certaines propositions émises peuvent être comprises comme une critique de leur activité.

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Résultat durable ?

Au-delà des critiques de forme qui concernent le vocabulaire « d’expert socio-culturel » et les formules toutes faites que chacun peut interpréter à sa manière qui constituent l’essentiel de certains textes de synthèse rédigés par le bureau d’étude, il est temps de faire le point.

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On ne peut que se réjouir de voir des citoyens débattre de questions importantes. On regrettera cependant que certaines réunions en journée ne peuvent concerner que les personnes pouvant se libérer, ce qui privera certaines catégories socio-professionnelles d’intervention. Par exemple, je n’ai jamais vu d’adolescents venir parler de leur avenir. Signalons cependant que la personne chargée de l’Agenda 21 à la CAPV est allée faire une présentation de la démarche au sein d’un lycée. On est là dans une limite connue de la démocratie locale qui exclut les exclus, les agriculteurs, les ouvriers, les jeunes.

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Je ne pense pas qu’il aurait été possible de faire beaucoup mieux tant que le temps de travail restera ce qu’il est, et que la loi n’autorisera pas chaque citoyen à s’en extraire pour participer quelques heures par semaine aux débats de sa commune, de l’école de ses enfants ou pour réfléchir à son agenda 21. Alors, on admettra que 300 personnes sur 95 000 participant à une démarche d’intérêt général est une bonne performance quand on sait que certaines enquêtes publiques importantes restent vierges.

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En ce qui concerne le fond, je voudrais vous dire ma surprise et ma colère quand j’ai pris connaissance des derniers comptes rendus écrits faisant la synthèse des derniers ateliers d’acteurs et de la conférence citoyenne en novembre 2011. Il s’agissait de la définition de 5 axes de stratégie classant toutes les actions retenues. En premier, celles du développement économique, celles sur les questions sociales, l’énergie et le plan climat de la CAPV, les transports et la mobilité et enfin la gouvernance. La seule proposition en termes d’environnement était une phrase générale sur les corridors biologiques ! Tout cela parce que le diagnostic environnement avait été bâclé et que j’étais en congé lors de la réunion précédente.

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Inutile de vous dire qu’à la réunion suivante, j’ai obtenu sans difficultés l’ajout d’une quinzaine de propositions d’actions contre la pollution de l’air, le droit à chaque citoyen de disposer d’eau potable au robinet, pour la protection réglementaire environnementale de 10 % de la surface du territoire, de lutte contre les pesticides, de limitation de la pollution lumineuse, de restauration de rivières et des corridors biologiques, de diminution de 20 % des déchets produits, d’interdiction des OGM et d’intégration de la biodiversité dans les espaces publics (cimetières, hôpitaux, maisons de retraite, écoles). Je m’empresse de dire que je trouvais la plupart des autres propositions intéressantes et porteuses de progrès mais je suis resté interrogatif.

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Interrogations durables

Comment expliquer que les questions d’environnement, élément essentiel du développement durable étaient passées à la trappe dans une démarche menée par un bureau d’étude professionnel ? Honnêtement, j’ai eu la douloureuse impression que la crise était passée par là et que ces questions étaient devenues secondaires par rapport au développement économique et à la solidarité. Il y a là une grosse erreur de jugement !

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En effet, la crise actuelle n’est pas simplement une crise financière. C’est surtout une crise écologique. Nous aboutissons aux limites de nos ressources énergétiques, alimentaires, naturelles et nous sommes 7 milliards d’hommes pour les partager. Aussi les utopistes sont ceux qui pensent pouvoir continuer l’exploitation de ces ressources sans prendre en compte leur bonne gestion.

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Prenons l’exemple de l’eau potable dans le Pays voironnais. La plupart des captages sont situés dans des zones humides qui sont souvent protégées (Espaces Naturels Sensibles, zone Natura 2000) et à forte biodiversité. Ainsi la protection de la nature garantit la ressource en eau potable.

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Autre exemple : ce sont les citoyens les plus démunis, les enfants, les personnes âgées qui subissent le plus souvent les pollutions et nuisances car ils n’ont pas les moyens de faire autrement. Les en protéger est une vraie solidarité.

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Il devient alors évident que la protection de l’environnement, la bonne gestion des ressources naturelles, la lutte contre les gaspillages et les pollutions deviennent un nouveau mode de développement, une alternative à la crise, probablement la seule solution. Alors oublier cela est une faute grave et un obstacle aux bonnes intentions annoncées, par ailleurs, de circuits courts, de produits bio, de tourisme nature, de lutte contre l’effet de serre.

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Espérons donc que l’environnement va reprendre sa place dans cet agenda 21 pour qu’il soit crédible.

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Démographie durable

Profitons-en maintenant pour aborder un sujet tabou qui m’a valu lors des réunions des remarques sèches, voire une agressivité inhabituelle lorsque je l’ai évoquée. On m’a d’ailleurs coupé la parole sans que je puisse développer mon argument. Je voulais parler de la capacité d’accueil du territoire du Pays Voironnais. Je posais la question de savoir si on connaissait les possibilités d’accueil d’habitants pour satisfaire leurs besoins physiologiques élémentaires : eau potable, nourriture, air pur, silence, espace ?

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En effet, je n’ai jamais rencontré un élu, un responsable qui décide qu’on avait fait le plein et que dorénavant on refuserait tout permis de construire ou toute immigration. Ca y est, le mot est lâché et désormais je suis un salaud bien content d’habiter le Pays voironnais et soucieux de ne pas avoir de voisins. Alors demandons à un bon paysan comment il gère son troupeau. Il connaît sa superficie de champs, les possibilités d’abreuvement, la qualité du sol et de son potentiel fourrager. Il décide alors la charge à l’hectare de bétail. S’il en met trop son champ sera dévasté et son troupeau dépérira.

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« Alors là, Noblet exagère ! Il nous compare à des vaches…. »

Ne nous méprenons pas. Je pense sincèrement que nous avons le devoir de réfléchir à ce concept de capacité d’accueil du territoire en admettant qu’un juste partage des ressources est la première des solidarités. Prenons l’exemple de la nourriture indispensable à chacun. On ne peut prétendre préserver l’espace agricole comme on le fait dans chaque Plan Local d’Urbanisme et continuer de consommer 1000 hectares de terre agricole chaque année en Isère pour les voiries et l’urbanisation. Si on veut développer l’autonomie alimentaire et les circuits courts de production commercialisation, il faudra bien, un jour, décider une limite à l’urbanisation.

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Si on regrette de savoir que 200 personnes meurent chaque année des effets de la pollution de l’air à Grenoble et si on décide de construire 20 000 logements de plus chaque année sur ce territoire, ce qui suppose une augmentation du nombre de véhicules en circulation. Il devient vite alors impossible de réduire les bouchons et la pollution des chauffages et des véhicules. Bien sûr, on peut augmenter la capacité d’accueil du territoire par des transports en commun, le contrôle des chaudières, l’éducation écologique des citoyens mais, nom d’un chien !, cela n’empêchera pas la surpopulation, c’est-à-dire le fossé s’agrandissant entre les ressources locales et le nombre d’usagers. Ce seront alors les plus riches des citoyens qui posséderont l’espace, le cadre de vie, un environnement de qualité au détriment des autres. L’espèce humaine croit tellement à son génie qu’elle oublie les lois de la vie.

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Cela n’impose pas automatiquement l’arrêt des permis de construire sur un territoire. En effet, il reste encore de la place et tout dépendra de nos facultés à diminuer collectivement nos consommations de ressources. Plus on y parviendra, plus on pourra augmenter le nombre d’habitants. La vraie question sera alors de choisir démocratiquement la densité de population choisie.

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Alors, réfléchir aux limites des ressources du territoire devient un acte d’intelligence et de vérité. Tout le reste est du baratin.

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J’espérais que l’Agenda 21 de la CAPV nous permettrait d’y réfléchir, mais chacun se contente du court terme, des améliorations de détail, basées sur la croissance sans fin d’une population et d’une société sur un espace limité aux ressources limitées et souvent en voie d’épuisement. Celui qui pense qu’on va sauver le climat, la biodiversité et la qualité de vie de nos enfants dans ces conditions est un menteur… ou un imbécile.

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Le site de Jean-François Noblet : http://ecologienoblet.free.fr/

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* En fait, il y a eu une centaine d’inscriptions de volontaires pour la conférence citoyenne de l’Agenda 21. Les 40 personnes choisies l’ont été en tenant compte des critères suivants : sexe, âge, répartition communale, catégorie socio-professionnelle.

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