Dialogue entre Michel Sourrouille, membre des JNE, et Alain Deshayes, généticien, membre fondateur de l’AFBV (Association des Biotechnologies végétales) – 2e partie

Voici la suite de notre dialogue (1ère partie ici) entre Michel Sourrouille, membre des JNE, et Alain Deshayes, généticien, membre fondateur de l’AFBV (Association française des Biotechnologies végétales).

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Alain Deshayes : contre les « semences paysannes », les « semences industrielles » qui s’appuient sur la composante génétique nous semblent mieux à même de répondre aux défis du XXIe siècle ; la génétique est sollicitée pour élaborer des réponses sur une scène mondiale où l’homme doit prendre une place centrale.

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Michel Sourrouille : c’est aussi cela le problème, la centralité de l’homme, l’appropriation du vivant. Croire que la technique pourra indéfiniment résoudre les problèmes créés par la technique est un acte de foi, basé sur l’anthropocentrisme dominant, la volonté de puissance. Les semences paysannes, au plus près du terrain, sont plus adaptées que des techniques centralisées oeuvrant pour le profit. Prenons maintenant un point de vue spécifiquement technique, l’équivalence en substance.

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Alain Deshayes : si la composition des deux plantes (la plante d’origine d’une part et la même plante avec un gène supplémentaire) sont comparables, à la différence près de la protéine produite par le gène introduit, pourquoi y aurait-il un risque lié à la plante génétiquement modifiée ? Pourquoi y aurait-il une restriction à sa culture et à sa consommation par l’animal ou l’homme ?

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Michel Sourrouille : le concept d’équivalence en substance est directement dérivé des modes de pensée de la science moderne. Ceux-ci sont basés sur un réductionnisme rationaliste. Mais le résultat en est que la substance, et non le processus, est devenu le principal et souvent le seul axe d’étude de la science moderne. En d’autres termes, le concept d’équivalence en substance fait abstraction de la façon dont les aliments ont été produits et conduits jusqu’au consommateur. L’impact environnemental des filières agroalimentaires devrait être évalué à tous les niveaux du processus, de sorte qu’un bilan environnemental global puisse être établi.

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Alain Deshayes : « l’impact environnemental des filières agroalimentaires devrait être évalué à tous les niveaux du processus… ». Confusion totale ! Et voilà comment on passe d’un sujet à un autre en éludant les questions scientifiques et techniques.

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Michel Sourrouille : « les questions scientifiques et techniques » doivent aussi tenir compte de tous les autres sujets. La réalité est complexe, globale, interdépendante. Au réductionnisme de la science actuelle s’oppose une science holistique qui analyse les effets des transgéniques sur les structures de l’emploi, de la production et de la commercialisation. Au niveau technique, les systèmes de transgenèse s’inscrivent intrinsèquement dans une optique d’uniformisation. Les méthodes de protection phytosanitaire introduites par le génie génétique sont alors vulnérables car elles favorisent la sélection de parasites résistants et devront être remplacées dans le court terme.

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Alain Deshayes : le fait que des résistances puissent apparaître et qu’il faille chercher de nouvelles formes de résistance, est un phénomène général, indépendamment des plantes génétiquement modifiées. Fallait-il/aurait-il fallu choisir entre les variétés « traditionnelles » qui possédaient une rusticité assurant une stabilité des (faibles) rendements quelles que soient les conditions climatiques ou les attaques de parasites et de pestes et d’autre part entreprendre un travail d’amélioration qui a permis (sans OGM) d’augmenter les rendements avec les risques avérés de voir périodiquement contournées les résistances à des parasites ou des pestes ? Je sais que certains de tes « frères » choisissent/auraient choisi la première voie.

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Michel Sourrouille : il te faut admettre que la course au rendement, avec ou sans OGM, n’est pas durable. Contrairement à la monoculture, les polycultures permettent une résistance naturelle. C’est la biodiversité qui permet la résilience, pas un OGM cultivé sur des milliers d’hectares. En fait de durabilité, ces méthodes favorisent des systèmes de protection des cultures éphémères, faisant appel à des variétés végétales et des produits phytosanitaires à courte durée de vie.

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Alain Deshayes : baratin en réponse à de vrais problèmes !L’apparition de plantes résistantes à des herbicides est aussi vieille que l’utilisation des herbicides eux-mêmes ! Tu vas dire que l’argument n’est pas glorieux, dont acte, mais là encore cette question n’est pas directement liée aux OGM.

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Michel Sourrouille : les OGM se trouvent confrontés aux mécanismes de la sélection naturelle. Mais je répète que le risque est moins grand quand l’agriculture reste paysanne, diversifiée, adaptée à chaque terroir. Pour Sylvie Pouteau (INRA), « la qualité des aliments ne peut être limitée à la seule substance car les aliments agissent sur les êtres humains non seulement au niveau nutritionnel mais aussi au travers de leurs relations avec l’environnement et la société ». En sorte que, la question Au delà de l’équivalence en substance appelle en fait une autre question : l’équivalence au delà de la substance

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Alain Deshayes : je suis en fait d’accord pour dire que les OGM doivent être positionnés dans une vision de l’agriculture et de sa place dans une problématique de développement. Le problème est que depuis le milieu des années 90, quand la culture des plantes génétiquement s’est développée (quand même 145 millions d’hectares en 2010 cultivés par plus de 15 millions d’agriculteurs dans le monde !!) le comportement destructeur et, je le dis tout net, anti-démocratique des anti-OGM n’a plus permis aucun débat.

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Michel Sourrouille : il faut comparer les 15 millions d’agriculteurs OGM qui accaparent les terres et les 2,5 milliards de paysans sur la planète qui se partagent des parcelles ; la balance n’est pas équilibrée. Il te faut aussi admettre le caractère non démocratique des firmes semencières. Ainsi le traitement statistique de l’étude des effets d’un maïs transgénique par son inventeur et distributeur, la firme Monsanto : les données expérimentales brutes avaient été tenues confidentielles par la firme agrochimique jusqu’à ce que Greenpeace en obtienne publicité grâce à la Cour d’appel de Münster. Ce genre de firmes veut être à la fois juge et partie. Face à cette toute puissance de l’argent, que peuvent faire les citoyens si ce n’est devenir faucheurs volontaires d’OGM ? José Bové agit contre les OGM en pensant que les paysans du Nord sont aussi victimes que ceux du Sud du productivisme technicisé agricole.

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Alain Deshayes : en fait , la position initiale de José Bové était une opposition au productivisme, mais sans la destruction des plantes au champ. On pourrait démontrer que les actions de « José Bové and Co » ont favorisé les grands groupes semenciers internationaux au détriment des petites structures et, dans le cas particulier de la France, des sociétés françaises.

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Michel Sourrouille : il paraît évident que les grands groupes semenciers n’ont pas besoin de José Bové pour éliminer les petites structures, et, particulièrement, la petite paysannerie. Les OGM ne sont pas faits pour l’autosubsistance, mais pour le marché. Le rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation avait écrit dans un rapport que la libéralisation du commerce « n’est pas plus favorable au consommateur, confronté à une forte hausse des prix, qu’au petit producteur, auquel on paye à un prix de plus en plus faible. En revanche, la chaîne de distribution s’allonge, ce qui contribue à enrichir divers intermédiaires ».

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Alain Deshayes : si tu veux m’expliquer que le capitalisme et le libéralisme tel qu’ils se sont développés à partir du milieu des années 1970 n’ont pas entraîné un développement favorable aux populations, alors oui, on peut discuter.

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Michel Sourrouille : les firmes semencières utilisent à la fois le capitalisme (l’appropriation privée, les brevets) et le libéralisme économique (le marché, son contrôle monopolistique) pour entraîner une évolution défavorable aux populations paysannes. Ne devrait-on pas se demander alors si un paysan illettré, mais ayant des connaissances héritées de sa communauté, n’est pas mieux placé qu’un bio-ingénieur pour gérer son avenir de manière durable ?

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Alain Deshayes : pourquoi toujours vouloir maintenir les paysans des pays pauvres dans «  l’autosubsistance ». Améliorer les conditions de vie des paysans népalais passe, entre autres, par une amélioration des conditions de culture et par une augmentation de la production agricole, non seulement pour qu’ils sortent enfin de cet état de d’autosubsistance et qu’ils aient une production telle qu’ils puissent en vendre une partie, non nécessaire à la « subsistance » de la famille, et pouvoir ainsi acquérir le nécessaire pour améliorer les conditions de vie ordinaires. Je pensais aussi à ces jeunes Népalais rencontrés au hasard  d’une étape dans un lodge et qui étaient la fierté de leurs parents parce qu’ils savaient lire et écrire. 

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Michel Sourrouille : Helena Norbert Hodge a vécu au Ladakh, un désert de haute attitude : « Au début de mon séjour, des enfants que je n’avais jamais vus venaient m’offrir des abricots ; aujourd’hui, de petites silhouettes affublées de vêtements occidentaux élimés accueillent les étrangers en tendant la main : « Stylo, stylo » ». Mais ce que les enfants ladakhis apprennent aujourd’hui à l’école ne leur servira à rien.

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Michel Sourrouille : la descente énergétique qui s’annonce va relocaliser les productions alimentaires. Chaque territoire devra faire de plus en plus avec ce qu’il peut lui-même produire. Le Ladakh d’autrefois était durable, le Ladakh d’aujourd’hui est déstabilisé, le Ladakh de demain sera sans OGM.

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Alain Deshayes : ce n’est pas parce que le libre échange, débridé depuis le début des années 80, a produit les effets que l’on observe aujourd’hui dans nos sociétés que je vais abandonner cet idéal qu’un  jour, les conditions de vie de tous les hommes et de toutes les femmes de cette planète pourront être significativement améliorées.

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Michel Sourrouille : la mondialisation des échanges, à commencer par la commercialisation des denrées agricoles, a été une aberration historique qui remonte à la théorie de Ricardo et ses prétendus avantages comparatifs entre vin du Portugal et drap en Angleterre. Avec le libre-échange, l’Angleterre a gagné sa révolution industrielle, le Portugal a perdu ; depuis les écarts de développement entre pays deviennent de plus en plus grands.

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Alain Deshayes : mais les retombées financières du tourisme et des treks ont permis à un grand nombre de famille népalaise d’améliorer considérablement leurs conditions de vie quotidienne : une maison en pierre, avec tout ce que cela peut représenter en « confort » supplémentaire, l’eau courante et chaude grâce à des réservoirs situés sur le toit à côté des panneaux solaires thermiques, et aussi l’électricité avec les panneaux solaires voltaïques.

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Michel Sourrouille : Le titre du livre d’Helena Norberg Hodge était parlant : « Quand le développement crée la pauvreté ». J’ose dire qu’une certaine façon d’aller à l’école est pernicieuse, je te rappelle cette phrase d’Helena : « Ce que les enfants ladakhis apprennent aujourd’hui à l’école ne leur servira à rien. Leurs manuels sont rédigés par des gens qui n’ont jamais mis les pieds au Ladakh. » Cela veut dire qu’il ne faut pas raisonner avec nos lunettes d’Occidental. Pourquoi avoir besoin d’une maison de pierre et du confort moderne alors que la culture népalaise savait donner la joie de vivre à son peuple. Il nous faut accepter les différences culturelles et admettre que le mode de vie occidental n’est pas compatible avec les conditions extrêmes de climat. A chaque territoire son mode de vie, nous ne sommes plus au temps des colonies.

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Alain Deshayes : ce qui, fondamentalement, nous sépare, c’est une certaine conception de la Nature et des relations que l’Homme entretient avec elle. Le texte d’Helena Norbert Hodge illustre bien cette référence au mythe du « bon sauvage » cher à Rousseau et qui est perverti par la société. Il est regrettable que notre enseignement insiste autant sur Rousseau et pas assez sur l’émergence des Lumières. Ce qui aggrave la situation en France, c’est que nous ne savons pas ce qu’est un « compromis » … Je n’accepte aucun des oukases des écologistes.

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Michel Sourrouille : l’émergence des Lumières ne veut pas dire acceptation d’une technique industrielle toute puissante ! Pour en revenir à la biotechnologie, puisque la société est injuste, cette nouvelle technologie sert les intérêts des riches et des puissants plus que les besoins des pauvres. Est-ce un oukase que de constater cela ?

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Michel Sourrouille : Tu es généticien et membre fondateur de l’AFBV (Association française des Biotechnologies végétales). Les membres de cette association sont pour la plupart liés à des firmes comme Monsanto, Rhône Poulenc ou Nestlé… Autant dire que l’on est en plein conflits d’intérêts. Je crois que tu es au-delà de cette compromission, mais comment échapper à une auto-intoxication induite par sa propre spécialisation ? On peut être trompé par soi-même, et il est alors difficile de s’en apercevoir. 

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Alain Deshayes : l’AFBV regroupe des personnes d’origines diverses, et, parce qu’il s’agit de « technologie », donc d’application et donc d’industrialisation, un certain nombre d’entre elles viennent de l’industrie. Est-ce pour autant que toutes ces personnes défendent des intérêts ? Est-ce pour autant que toutes ces personnes sont incapables de réflexion sur notre société ? L’AFBV est l’expression du ras le bol vis-à-vis des politiques scientifiques et technologiques qui conduisent à marginaliser dans certains domaines notre pays, et l’Europe.

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Michel Sourrouille : mais il te faut reconnaître que l’AFBV est une machine de guerre contre ses opposants.

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Alain Deshayes : pas une machine de guerre, une machine à rectifier les approximations et les mensonges de certains, mais aussi un outil pour promouvoir les biotechnologies végétales.

 

 

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