« Le Grand blanc, du mythe à la réalité » : un ouvrage aussi beau que salutaire


Avec
Le Grand blanc, du mythe à la réalité, le requin mythique a trouvé son indispensable porte parole. Simple, très accessible et agréable à lire, autant qu’érudit et riche sur le plan scientifique, il est à mettre dans toutes les bibliothèques.

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par Françoise Nowak

Si les grands requins blancs de False Bay, en Afrique du Sud sont coutumiers de ces spectaculaires sauts d'attaque, il est rarissime d'observer un tel comportement de la part d'un grand requin blanc australien.© Patrice Héraud

 

Acte d’amour, de science, de culture et de salut public ! Le livre Le Grand blanc, du mythe à la réalité, paru chez Glénat en septembre 2011, est tout cela à la fois.

Ses deux auteurs : le photographe professionnel et instructeur de plongée Patrice Héraud, ainsi que la vulgarisatrice scientifique Alexandrine Civard-Racinais (JNE), y font montre en même temps d’une recherche pointue, à l‘objectivité sans faille, et d’une forme de sympathie, liée à l’expérience. En effet, d’un côté, le premier est reconnu comme l’un des meilleurs spécialistes français du requin blanc, après l’avoir étudié, photographié et filmé pendant plus de 20 ans ; de l’autre, la seconde s’est largement immergée dans l’univers marin, à l’occasion d’une précédente publication consacrée aux constructions subaquatiques de l’architecte Jacques Rougerie.


Parmi les découvertes scientifiques les plus étonnantes que cet ouvrage à deux mains révèle, notons que contrairement aux idées reçues, le poisson cartilagineux mythique (dit Carcharodon Carcharias) n’est pas un animal exclusivement solitaire : il a été observé en groupe, en particulier près des îles Farallon, à 40 km des côtes californiennes. L’expert Mauricio Hoyos pense même que près de l’île de Guadalupe, il mène des actions concertées de capture dans ce cadre. Par ailleurs, loin d’être « primitif », comme certains le croient toujours, il possède notamment des récepteurs sensibles aux faibles champs électriques, dénommés « ampoules de Lorenzini ». De la sorte, il peut détecter le moindre battement de cœur et mouvement respiratoire des « nourritures vivantes » qui l‘intéressent, même lorsqu’elles sont cachées !

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Confusion alimentaire

De plus, lorsqu’il en a besoin, il peut projeter ses mâchoires en avant, ce qu’il fait systématiquement pour identifier tout objet nouveau attisant son appétit ou sa curiosité (cage d’exploration pour protéger des touristes, par exemple). Pour autant, cet être n’a rien de l’image du mangeur d’hommes sanguinaire que les montages sur Internet et la fiction Les dents de mer continuent de véhiculer, au regret de l’un de ses scénaristes, depuis qu’il s’est penché sur le réel comportement de cette force de la nature!

D’ailleurs, les chiffres donnés sont parlants : « Entre 2000 et 2010, l’International Shark Attack File (ISAF) a recensé sept cent quinze attaques de requins, dont soixante six attribuées à un grand blanc. Pour un total de quatorze victimes », affirme Alexandrine Civard-Racinais. En ce qui concerne la population globale des humains, la probabilité de mourir suite à une telle attaque serait même insignifiante. « D’après les calculs effectués par l’ISAF, elle était de 1 sur 3,7 millions en 2003 », témoigne l’investigatrice. Ainsi, les guêpes et les serpents font bien plus de morts que les requins, sans compter le moustique anophèle « qui est à lui seul à l’origine de près de huit mille décès chaque année», souligne notre interlocutrice. D’ailleurs pour les spécialistes, il semblerait que « la plupart des attaques non provoquées soient dues à une confusion alimentaire », continue-t-elle, d’où le fait que fort peu sont fatales pour l’homme.

Déformation du mot requiem

Hélas, pour le directeur de l’ISAF, « un homme sur une planche de surf ou un plongeur gainé de noir peuvent facilement être pris pour une proie, si l’on adopte le point de vue d’un grand requin blanc en chasse ! »
A bon entendeur salut, en tout cas : si l’on croise ce type de bête, la fuite est tout à fait déconseillée !
L’attitude adéquate, selon l’apnéiste Fred Buyle, est d’« affirmer au contraire sa position dans l’eau. Il faut montrer son assurance et établir le contact. Sans jamais oublier qu’il s’agit d’un animal sauvage ».

Animal mythique et redouté, le grand requin blanc est une merveille de l'évolution.© Patrice Héraud


Côté culture, cette nouvelle publication est également édifiante. D’une part, elle rappelle que le mot requin est une déformation du mot « requiem » parce que la seule évocation de cet habitant des océansa trop longtemps été associée à l’idée de trépas sans appel pour nous. D’autre part, on y (re)découvre le caractère visionnaire des romans de Jules Verne. Les quelques lignes suivantes, extraites de Vingt mille lieues sous les mers, sont saisissantes : « (…) ce fléau n’est rien encore auprès de celui qui frappera nos descendants, lorsque les mers seront dépeuplées de baleines et de phoques. Alors, encombrées de poupes, de méduses, de calmars, elles deviendront de vaste foyers d’infection, puisque leurs flots ne possèderont plus ces vastes estomacs que Dieu avait chargé d’écumer la surface des mers ». Or, avec la dangereuse menace d’extinction qui pèse sur les différentes espèces de requins, dont le requin blanc, c’est exactement ce qui est en train de se passer !

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Interdite au large

Ce phénomène résulte de la cruauté effroyable avec laquelle ces animaux sont amputés de leurs ailerons (vendus fort chers) par des pêcheurs sans âme, qui les rejettent ensuite à la mer pour une agonie qui peut durer plus de 90 jours, mais aussi de l’agressivité de certains de nos congénères attachés à les tuer pour délit de « squale gueule »… Sans oublier la catastrophe écologique que représentent les grosses pêcheries commerciales.

Les filets de fond de ces vastes usines flottantes sont équipés d’hameçons multiples et ne font aucune différence entre les harengs, les sennes et les carcharodons carcharias. De ce fait, ces systèmes constituent la principale cause de mortalité de ces ovovivipares. La dissection de l’un d’eux a permis de retrouver dans son appareil digestif huit gros hameçons et plusieurs mètres de ce type de filet…


Œuvre de salut public : il s’agit bien de cela pour ce beau livre, remarquablement écrit, et dont les très nombreuses photos sont plus belles et instructives les unes que les autres. En rassemblant toutes ces informations qui touchent de concert notre rationalité et notre sensibilité, en mettant en regard le peu d’engagement efficace pris pour protéger cet animal, il donne au lecteur les moyens d’agir.

.Chacun de nous peut intervenir pour faire partager ces connaissances, exiger un autre modèle de pêcherie, et demander entre autres que toute découpe de requin soit interdite au large, avec un contrôle réel de ce qui se pratique : il y va de l’avenir de notre propre espèce. Or nous le savons tous : avant d’arriver à la mer et au redouté prédateur… les petits ruisseaux font les grandes rivières.

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Editions Glénat, 147 pages, 30 € – www.glenatlivres.com
Contact presse : Sophie Gallet. Tél.: 01 41 46 18 06 – sophie.gallet@glenat.com

 

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