Etats généraux de la forêt à Brive : des débats très riches

Ruth Stégassy © D. Boone

Les premiers Etats généraux de la forêt qui ont eu lieu à Brive (19) les 1er, 2 et 3 octobre 2010 étaient passionnants. Le programme a été concocté avec et autour de Francis Hallé, spécialiste de la forêt équatoriale, mais nos forêts tempérées étaient elles aussi au cœur des discussions.

Par Danièle Boone

Ruth Stégassy (JNE) a animé avec brio ces rencontres. L’animatrice de l’émission Terre à Terre (France Culture) a d’emblée invité le public à participer activement. De fait, la salle était constituée d’hommes et de femmes d’origines professionnelles très diverses, techniciens ONF, ingénieurs agronomes, chercheurs, agriculteurs, élus… ce qui a donné un débat très riche.
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Sabrina Krief © Danièle Boone

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Les interventions ont été très diverses. Vétérinaire primatologue, Sabrina Krief a expliqué, images à l’appui, comment les chimpanzés utilisaient les plantes pour se soigner. Ignacio Abella, naturaliste et écrivain, a abordé la symbolique de la forêt au sein de la société : la justice rendue sous l’arbre sacré, le grand if dans les cimetières à l’ombre duquel on se faisait enterré… Patrick Menget, président de Survival International, a parlé de la forêt brésilienne et des hommes qui y vivent. La primatologue Emmanuelle Grundmann (JNE), auteur avec Jane Goodall du très beau Ces forêts qu’on assassine (éditions Calmann-Lévy), a fait le point sur la déforestation, notamment pour les agrocarburants et les plantations de palmier à huile. Le géographe Xavier Arnauld de Sartre est de ceux qui pensent qu’il faut attribuer un prix à la nature pour lutter avec les mêmes armes que les économistes – idée très controversée. Il y a ceux qui sont pour et ceux qui sont farouchement contre, du 50/50. Il a aussi été question d’agroforesterie avec Emmanuel Torquebiau (CIRAD) et Christian Dupraz (INRA).
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Marc-André Selosse © D. Boone

Parmi toutes ces interventions, quelques-unes étaient particulièrement remarquables comme celle de Marc-André Selosse. « Un jour, mon maître d’école nous a demandé de chercher des champignons. Je me suis pris au jeu et, depuis, je continue à les chercher ». Ce mycologue pince sans rire est fabuleux. Il nous a entraîné dans le monde souterrain, au creux des racines, à la découverte d’extraordinaires symbioses. De fait, l’arbre cache la forêt. Les racines constituent un tiers de la biomasse. Pour Marc-André, la forêt est un écosystème microbien, pas un écosystème végétal. Michel Thinon, lui, a inventé sa discipline, la pédoanthracologie, c’est-à-dire l’identification, l’analyse et la datation de charbon de bois prélevés dans le sol. Par cette méthode, il obtient d’incroyables informations sur les peuplements anciens des forêts.

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Autre intervention notable, celle de l’ethnoécologue Edmond Dounias, qui étudie les populations de chasseurs cueilleurs en Afrique Centrale et à Bornéo. Il existe deux attitudes très opposées, mais tout aussi néfastes. La première émane souvent des gouvernements qui ont horreur des nomades. Il faut les fixer pour leur bien, pour que leurs enfants aillent à l’école, qu’ils puissent avoir accès aux soins et… payer leurs impôts. L’autre, c’est la nôtre. Elle correspond au fantasme occidental du sauvage noble qui vit dans un éden, en harmonie avec la nature. On regarde notre passé  et on s’attribue ces sociétés comme notre patrimoine (musée Branly). Il faut les protéger, les mettre sous bulle. Dans les deux cas, on décide pour eux, conclut sans ambages Edmond Dounias. Confrontées à la mondialisation, ces sociétés sont très schizophrènes. Elles souhaitent à la fois porter des jeans, boire du Coca-Cola, regarder CNN tout en préservant leur culture, un mode de vie dans la forêt. Tout ce qu’on peut faire, c’est les aider dans leur choix mais jamais choisir à leur place.
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Francis Hallé © D. Boone

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Francis Hallé a ouvert et clos ces premiers Etats généraux de la forêt. Ses propos et ses interventions tout au long des débats étaient passionnants. Ils a présenté le projet pour lequel il vibre tout particulièrement : faire un film sur cette forêt primaire qui est en train de disparaître «pour montrer toute cette splendeur tandis qu’elle est encore là ». Il a d’ores et déjà trouvé le réalisateur : Luc Jacquet (La marche de l’Empereur, Le renard et l’enfant). Mais son projet est encore plus ambitieux : il aimerait pouvoir se passer de ces entreprises sponsors qui verdissent leur image à bon compte. C’est pourquoi, l’association Forêts tropicales humides, le film a été créée. L’adhésion est à seulement 5 €. L’ensemble des cotisations servira à financer une partie de la réalisation du film. Francis la souhaite la plus importante possible. Faire passer le message.
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Ambiance conviviale © D. Boone

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Ces rencontres ont fait l’unanimité parmi les intervenants et le public. Il faut dire que le lieu, l’hôtellerie Saint Antoine, a sans doute joué un rôle pour cette réussite. Pauses café et repas en commun favorisaient les échanges. Les frères franciscains se sont dit particulièrement heureux d’accueillir ces premiers Etats généraux de la forêt, à la veille de la fête de saint François, patron des écologistes. Un dernier mot pour Marie-Paule Baussan, de l’association des Treize Arches, initiatrice et organisatrice des Etats Généraux de la Forêt. Le rendez-vous est d’ores et déjà pris pour l’année prochaine.