La Lettre Mansholt 1972. Introduction de Dominique Méda

Cinquante ans après sa première sortie, les éditions les Petits Matins ont eu la bonne idée de publier sous la forme d’un petit livre la lettre de Sicco Mansholt, vice-président de la Commission européenne, qui proposait à l’Europe une bifurcation radicale de l’économie. Comme le précise la sociologue Dominique Méda dans l’introduction, Sicco Mansholt était un socialiste néerlandais, dont le plan de réforme de l’agriculture, prévoyant la transformation des fermes familiales en des entreprises de grandes dimensions et une baisse drastique du nombre d’agriculteurs, avait suscité l’émoi dans les campagnes en décembre 1968. Mais, à partir de 1971, Sicco Mansholt est ébranlé par les premiers résultats de l’étude d’une équipe du MIT (Massachussetts Institute of Technology), dirigée par Dennis Meadows, sur les limites à la croissance, que lui communique l’industriel italien Aurelio Peccei, fondateur du Club de Rome, commanditaire de ce rapport. Le 9 février 1972, il rend public une longue lettre adressée à Franco Maria Malfatti, président de la Commission des communautés européennes. Dans ce texte, Sicco Mansholt propose rien moins qu’ « une forte réduction de la consommation de biens matériels par habitant, compensée par l’extension des biens incorporels (prévoyance sociale, épanouissement intellectuel, organisation des loisirs et des activités récréatives, etc.) ». Il prône aussi la limitation des naissances, la prolongation de la durée de vie des biens d’équipement, la lutte contre le gaspillage, l’abandon de la production des biens « non essentiels » et la lutte contre la pollution. « Il est évident que la société de demain ne pourra pas être axée sur la croissance, du moins pas dans le domaine matériel », écrit Mansholt. Pour atteindre ces objectifs, le vice-président de la Commission plaide pour l’élaboration d’un « plan central européen », avec un système de certificats de production CR (pour clean and recycling, nettoyage et recyclage), contrôlé au niveau européen.

Outre le texte intégral de la « lettre Mansholt », ce petit livre nous présente la réaction au vitriol de Georges Marchais, alors secrétaire général adjoint du Parti communiste français. Le 4 avril 1972, lors d’une conférence de presse, il dénonce ce « mémoire semi-confidentiel » visant à « provoquer délibérément un net recul du bien-être des habitants de la nouvelle Communauté des Dix » et à mener une « politique malthusienne à outrance ». Georges Marchais tente de faire de cette « révélation accablante » un argument en faveur du non au référendum sur l’élargissement de la Communauté européenne au Royaume-Uni, au Danemark, à l’Irlande et à la Norvège, qui doit avoir lieu le 23 avril. L’argumentation de Marchais, pointant une improbable collusion entre Sicco Mansholt et le président Georges Pompidou, ne porte pas ses fruits, puisque le oui l’emporte avec 68,32 % des voix. Reste que, comme l’indique Dominique Méda, la plus grande partie de la classe politique (en particulier Georges Pompidou lui-même et Raymond Barre, alors vice-président de la Commission européenne) et des médias critique – sous une forme moins caricaturale – les propositions de Mansholt. On ajoutera que son plan est aussi accueilli avec hostilité par certains écologistes radicaux (notamment au sein du mouvement Survivre et Vivre) qui dénoncent son aspect centralisateur et technocratique, et aussi par les partisans de l’agriculture biologique, qui ne croient pas à la sincérité de celui qui était auparavant à leurs yeux le « fossoyeur » de la paysannerie européenne.

Ce livre très riche, édité en partenariat avec l’Institut Veblen pour les réformes économiques, nous livre enfin la transcription d’un long entretien accordé par Mansholt à Josette Alia dans le Nouvel Observateur du 12 juin 1972, ainsi que des extraits du débat « écologie et révolution » organisé le 19 juin par le Club de l’Obs, avec les interventions de Sicco Mansholt, d’Edmond Maire (secrétaire général de la CFDT) et du sociologue américain Herbert Marcuse. Faute de place sans doute, on n’a pas droit aux points de vue d’Edgar Morin et de Michel Bosquet (alias André Gorz), ni aux réactions d’Édouard Goldsmith et de Philippe Saint-Marc, tous deux membres « historiques » des JNE. Merci en tout cas aux Petits Matins de nous donner à lire (ou relire) le texte visionnaire de Sicco Mansholt, qui mourra dans l’oubli en 1995 après que ses propositions soient restées lettre morte.

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Éditions Les petits matins, 80 pages, 10 € – www.lespetitsmatins.fr
Contact presse : Macha Dvinina. Tél. : 01 43 48 77 27 – macha@lespetitsmatins.com
(Laurent Samuel)
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