Face à la censure, la profession doit soutenir l’information en Ukraine et en Russie

Au 16 mars, cinq journalistes sont morts depuis le début de la guerre. La sécurité des centaines de journalistes internationaux couvrant le conflit est préoccupante. Il en est de même pour nos consœurs et confrères ukrainiens et russes : en Ukraine, évidemment, avec des médias et des journalistes aux capacités d’action réduites; en Russie, avec une liberté d’expression menacée par le pouvoir, que ce soit pour les journalistes des médias russes ou les correspondants de médias étrangers.

Journalistes en Russie

Votée en urgence, la nouvelle loi russe sur la presse punit de prison toute personne (journaliste, blogueur, citoyen) qui diffusera des « fausses nouvelles » concernant les forces armées russes ou des informations visant à les « discréditer ». La peine de prison peut aller jusqu’à 15 ans en cas de « conséquences graves ». Ce texte vise, en premier lieu, les journalistes, mais aussi toute personne qui relaiera une information déplaisante pour le pouvoir en place. Le juge aura tout pouvoir pour apprécier ce qui tombe sous le coup de la loi.
Cela signifie que les journalistes ne peuvent plus travailler librement en Russie. La BBC, CBC, Radio Canada, ARD, ZDF, CNN, CBS, la RAI, El Pais, RTVE, EFE et Bloomberg ont déjà « suspendu » le travail de leurs journalistes présents en Russie.
Des correspondants à Moscou ou en Russie de plusieurs médias français ont cessé de commenter la guerre sur les réseaux sociaux. Radio France étudie les risques juridiques de maintenir une présence médiatique en Russie.
Cette loi prive le public d’informations factuelles, d’intérêt public, essentielles pour comprendre la situation en Ukraine. Elle enferme aussi les citoyens russes dans une bulle étanche aux informations non validées par le Kremlin. Inique et dangereux, ce texte instaure une véritable censure d’Etat : toutes les publications (articles, commentaires, posts) publiés avant son adoption aussi visés. L’agence russe indépendante Agents estime à 150 le nombre de journalistes russes ayant quitté la Russie ou cherchant à le faire.

Journalistes en Ukraine

Les journalistes ukrainiens subissent une triple peine. Leur pays est envahi par une armée
étrangère – ce qui bouleverse leur vie quotidienne et celles de leurs proches – et envoie certains d’entre eux au combat ou en exil. Leur liberté d’action est entravée par les mouvements de troupe et de population, les combats, les destructions. Certains ont, manifestement, été pris pour cibles par les belligérants.

Afin de venir en aide aux journalistes en Ukraine et afin de donner au citoyen européen une information fiable, honnête et de qualité, plusieurs actions sont envisageables :
– la réinstallation à l’étranger de journalistes ukrainiens, comme le propose la FEJ et ECPMF, en partenariat avec les syndicats ukrainiens NUJU et IMTUU ;
– l’ouverture d’un centre de coordination de l’aide à la presse à la frontière ukrainienne, en lien avec les nouveaux QG des syndicats de journalistes ukrainiens.

Nous, organisations syndicales et associations de journalistes, appelons la profession à se mobiliser pour soutenir leurs journalistes en danger, notamment en contribuant au fonds d’entraide spécial mis en place par la Fédération européenne et la Fédération internationale des journalistes dont sont membres les syndicats français SNJ, SNJ-CGT et CFDT-Journalistes. Ce fonds de soutien est destiné à aider les journalistes en Ukraine.

Afin de venir en aide aux journalistes ukrainiens et à ceux de médias russes menacés par le pouvoir, d’autres actions sont possibles :
– agir au sein des rédactions pour que les médias français ouvrent leurs colonnes ou leur temps d’antenne à des confrères/consœurs ukrainiens et russes qui auraient trouvé refuge hors de la zone d’opération militaire spéciale ;
– proposer un hébergement temporaire avec le minimum de logistique nécessaire pour travailler en contactant l’une des organisations syndicales ou associations signataires qui relaiera votre proposition.

Nous, organisations syndicales et associations de journalistes, appelons les gouvernements européens à accorder des visas d’urgence aux journalistes qui en font la demande, face à la répression et à la censure accrues en Russie.

Paris, le 17 mars 2022.

SIGNATAIRES
Syndicat national des journalistes
Syndicat national des journalistes – CGT
CFDT-Journalistes
Fédération internationale des journalistes
Fédération européenne des journalistes
Association des journalistes pour l’environnement
Journalistes-écrivains pour la nature et l’écologie
Association des journalistes scientifiques de la presse d’information