Mémo sur la nouvelle classe écologique par Bruno Latour et Nikolaj Schultz

La lutte des classes n’est plus aujourd’hui la même que celle des siècles passés. Nous avons changé de monde, nous n’habitons plus sur la même Terre. Nous ne vivons plus dans le monde où nos ancêtres se projetaient dans un univers infini où le progrès illimité était censé apporter bonheur et prospérité. Si la lutte des classes est devenue plus que nécessaire, elle a changé d’objet et de sujets. Voici un petit livre époustouflant et décoiffant qui devrait provoquer quelques remous dans le petit monde de l’écologie politique. La question posée sur la couverture « Comment faire émerger une classe écologique consciente et fière d’elle-même ? » en cache en fait une autre, fondamentale : pourquoi l’écologie politique n’a-t-elle pas réussi à transformer une préoccupation majeure en force capable de gouverner ?

La principale réponse selon les auteurs est qu’elle n’a pas assez réfléchi. Pour combler cette lacune, elle pourrait utilement s’inspirer des analyses qui ont permis aux deux grandes idéologies précédentes — le libéralisme et les socialismes — de s’imposer sur la scène politique ; et à leurs promoteurs de gagner « la lutte pour les idées bien avant de pouvoir traduire leurs avancées dans les partis et les élections ». Rappelons qu’en 1974 Jean-Marie Le Pen, qui venait de créer le Front national, avait fait un score similaire à celui de René Dumont, le premier candidat écologiste à une élection présidentielle. Près de 50 ans plus tard, où en sont les uns et les autres… ?

Le livre pose utilement de nombreuses questions tout en apportant de nombreuses pistes de réponses : À quelles conditions l’écologie, au lieu d’être un ensemble de mouvements parmi d’autres, pourrait-elle organiser la politique autour d’elle ? Peut-elle aspirer à définir l’horizon politique comme l’ont fait, à d’autres périodes, le libéralisme, puis les socialismes, le néolibéralisme et enfin, plus récemment, les partis illibéraux ou néofascistes dont l’ascendant ne cesse de croître ? Peut-elle apprendre de l’histoire sociale comment émergent les nouveaux mouvements politiques et comment ils gagnent la lutte pour les idées, bien avant de pouvoir traduire leurs avancées dans des partis et des élections ? Pour ne pas conclure sur une note trop pessimiste, je dirais plutôt trop réaliste, les auteurs achèvent l’ouvrage en s’en référant à l’historien Paul Veyne : « Les grands bouleversements sont parfois aussi simples que le mouvement que fait un dormeur pour se retourner dans son lit. »


Éditions Les empêcheurs de tourner en rond, 2021, 95 pages, 14 € – www.editionsladecouverte.fr
Contact presse : Pascale Iltis. Tél.: 01 44 08 84 21 – p.iltis@editionsladecouverte.com
(Gabriel Ullmann)