La santé des forêts françaises

Voici le compte-rendu d’une journée « de transfert » de savoir entre la recherche et les professionnels du bois ou de la forêt, organisée conjointement le 17 mai 2011 par l’Institut de développement forestier (IDF) et le Centre national de la propriété forestière (CNPF), à l’Agro-Paris Tech (ex-ENGREF) avenue du Maine (Paris 14e).

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par Roger Cans

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C’est Louis-Michel Nageleisen, du Département de la santé des forêts (DSF), qui présente la problématique générale. Il définit le « triangle de la pathologie » par l’arbre, l’environnement et les parasites.

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Historiquement, c’est le dépérissement du pin maritime dans le sud-est qui interpelle le département dès 1960. Le pin maritime est attaqué par la processionnaire du pin et surtout le matsucoccus. En 1972 commence le dépérissement de l’orme avec la graphiose (insecte et champignon). La terrible sécheresse de 1976 entraîne un dépérissement du chêne vers 1980, puis un dépérissement du sapin des Vosges. On s’alarme alors contre les pluies acides, ce qui entraîne le programme DEFORPA (Dépérissement de la forêt attribué aux pluies acides), avec la création de placettes d’observation individuelle de certains arbres. En 1992 se met en place le réseau RENECOFOR, avec 220 correspondants observateurs qui notent tout ce qu’ils observent dans le forêts de leur secteur.

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La tempête de 1999 (Martin au sud et Lothar au nord) offre une occasion d’observation des chablis, de la résistance des arbres, des invasions de scolytes, etc. Voilà maintenant vingt ans que le Département santé des forêts étudie les dégâts, hormis l’incendie et les dégâts de gibier.

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Au total, 54 % des dégâts sont commis par les insectes, avec 314 espèces recensées nuisibles. Les champignons ne comptent que pour 26 % des dégâts. L’insecte ennemi numéro un est le scolyte typographe, suivi par la chenille processionnaire du pin. Le champignon le plus nuisible est l’armillaire, suivi par la rouille du peuplier. Globalement, seulement 20 % des arbres sont atteints et 80 % restent intacts.

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La tempête de 1999 confirme que le vent est le pire ennemi du forestier (chablis et incendie). A l’époque, 10 % des arbres ont été remplacés. On est revenu à l’endémie au bout de dix ans. La tempête Klaus de 2009 n’a frappé que l’Aquitaine, qui a vu ensuite l’invasion de la chenille processionnaire. La sécheresse est le second ennemi (1883, 1921, 1947-49, 1976, 2003). Elle a provoqué en 2003 une importante mortalité de sapins. On est revenu à l’endémie en 2011.

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Avec le printemps précoce et l’absence de gelées tardives, en 2011, le chêne a débourré avant que paraisse la tordeuse du chêne. Il échappe donc aux chenilles défoliatrices. Mais l’invasion de chenilles processionnaires du chêne, très urticantes, pose un problème pour les ouvriers forestiers lorsque l’hiver a été trop doux. La dernière maladie observée est la chalarose du frêne, toute récente, dont il sera parlé l’après-midi.

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Un chercheur du même DSF, Dominique Piou, expose les nouvelles menaces des « bioagresseurs » exotiques, au regard des invasions déjà observées. Voilà maintenant un siècle que l’oïdium du chêne est arrivé en France. Dans les années 1960 sont arrivés successivement la graphiose de l’orme, le chancre du châtaignier et la cochenille du pin maritime.

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On compte à ce jour 10.711 espèces animales et végétales qui ont été introduites en Europe, ou d’une région à l’autre. Sur 688 champignons exotiques, dont 200 en France, 84 sont pathogènes. Et l’on dénombre 472 invertébrés exotiques. Depuis 1950, avec la généralisation des échanges et la mondialisation, leur nombre a été multiplié par deux. Mais 13 espèces occasionnent 60 % des dégâts.

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Très souvent, le bois est importé avec son parasite, comme le puceron du douglas. Il faut noter cependant que les dégâts occasionnés par les exotiques en Europe sont surtout dans les jardins. Aux Etats-Unis, les plus gros dégâts sont provoqués par des insectes européens. Les pathogènes introduits en Europe font de plus en plus de dégâts. Exemple : le longicorne chinois sur le châtaignier, l’agril du frêne, venu d’Asie et les scolytes en Italie.

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En Grande-Bretagne, des plantations de mélèze du Japon ont été décimées par un champignon. Le pin californien (Pinus radiata) est attaqué par le Pitch Canker des pins. La nématode du pin est venue des USA par un longicorne qui fait des ravages au Portugal, en Espagne, et sans doute bientôt en Aquitaine. Les parasites, naguère, venaient d’Amérique. Aujourd’hui, ils viennent d’Asie, que ce soit par le bois d’emballage, les meubles ou les bonsaïs.

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Philippe Riou-Nivert, chercheur à l’IDF, expose les menaces dues au réchauffement climatique, qui est net en France depuis 1980. On assiste à une augmentation des précipitations hivernales et à une multiplication des sécheresses estivales. On constate aussi la fréquence des tempêtes (1982 en Auvergne, 1987 dans l’Ouest, 1990 en région parisienne, 1999 avec Martin dans le sud et Lothar à l’est, 2009 avec Klaus en Aquitaine).

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Jusqu’à présent, le réchauffement a eu comme conséquence positive une plus forte croissance des arbres, avec moins de gelées tardives. Mais les conséquences négatives sont importantes si l’on se réfère aux tempêtes, aux incendies et à la prolifération des parasites. On craint que les fortes croissances s’arrêtent vers 2050. Le hêtre, qui a gagné 4 m en hauteur, se trouve du coup plus vulnérable aux coups de vent. La processionnaire du pin se propage vers le nord au rythme de 6 km par an. Le réchauffement multiplie les générations de pucerons et scolytes et favorise l’encre du chêne.

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Louis-Michel Nageleisen reprend la parole pour décrire les phénomènes de dépérissement. On voit par exemple la cédraie marocaine de l’Atlas gagnée par le désert ou les chênes de la forêt de Vierzon défoliés en juin 2004. Il souligne que le dépérissement, en France, n’est jamais total. Les arbres peuvent souffrir de la sécheresse, puis des scolytes ou d’autres parasites, mais ils ne meurent pas forcément et connaissent même de remarquables résiliences. En dehors de l’orme, victime de la graphiose à l’âge adulte, on n’a constaté aucun dépérissement généralisé d’une essence. Quant aux « pluies acides », c’est la sécheresse de 1976 qui a fait souffrir les sapins des Vosges. Ils ont récupéré depuis.

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D’une manière générale, les dépérissements localisés s’observent lorsque les arbres sont en limite d’aire. Les pins sylvestres plantés en Champagne n’ont jamais rien donné de bon. Ce sont les essences importées qui sont le plus vulnérables, comme le douglas et les cultivars de peuplier. Parmi les essences indigènes, c’est le chêne pédonculé le plus fragile. Le chêne sessile apparaît invulnérable. Le hêtre a bien résisté à la sécheresse de 2003 en Normandie, mais il a souffert dans le sud sur sol acide. Le sapin pectiné a souffert dans l’Aude et sur le mont Ventoux. En région méditerranéenne, on assiste au dépérissement d’essences locales comme le pin d’Alep, le pin sylvestre, le chêne vert ou le chêne liège.

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Jean Lemaire, chercheur à l’IDF, rend compte de l’état de la chênaie atlantique. En Midi-Pyrénées, on trouve 500.000 hectares de chêne pubescent. Ce chêne a de meilleures propriétés mécaniques que le chêne pédonculé, mais il est plus long à sécher. Pour observer la santé des chênes, on a 400 placettes sur tout l’arc atlantique. Le chêne sessile n’a aucun problème, mais le chêne pédonculé souffre en Poitou-Charente. Un arbre sur cinq est dépérissant, avec parfois des descentes de cime inquiétantes. Mais descente de cime ne veut pas dire mort. On observe souvent des pousses de gourmands à la base des branches défoliées, gourmands qui vont permettre la résilience du houppier.

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Comment gérer une crise sanitaire en forêt ? Un chercheur de l’IDF, Olivier Picard, appelle ces crises des « chocs mous », qui peuvent durer de trois à dix ans. Dans tous les cas, on ne maîtrise pas la situation. Il faut alors exploiter les arbres dépérissants et traiter les piles de bois coupé avec un produit phytosanitaire. Le retour à l’équilibre, en fin de crise, ne sera pas forcément le même qu’avant, mais ce n’est pas dramatique.

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Stéphane Viéban, de Forestarn, enchaîne avec ses observations en forêt (Tarn, Aveyron, Hérault et Aude) après la sécheresse-canicule de 2003. Les feuillus, d’origine, n’ont pas souffert. Les résineux plantés, en revanche, ont été décimés. Le sapin de Vancouver (Abies grandis) a totalement disparu. Le douglas a connu des dessèchements de cimes à faible altitude. Les épicéas ont subi l’attaque du scolyte typographe. Les premières coupes d’urgence ont eu lieu dès l’automne 2003, surtout l’épicéa. Des coupes ont eu lieu jusqu’en 2006, y compris des coupes rases. En 2007, il a fallu traiter les piles de bois. Dans le Tarn, 2000 hectares ont été mis en coupe rase en 2008, soit 5 % du massif. On n’a plus observé de dépérissement après 2008. Mais il y a eu la tempête Klaus, le 24 janvier 2009…

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Le massif aquitain a connu des catastrophes en chaîne depuis la tempête de 1999. Hervé Jactel, de l’INRA, fait le point. La forêt landaise a connu ensuite une épidémie de scolytes sans précédent. 25.000 hectares ont été touchés, soit 2,5 % du massif. 70 % de la récolte annuelle a été scolytée. On a aussi assisté à une pullulation de chenilles processionnaires du pin encore jamais atteinte. Et l’on redoute maintenant l’arrivée d’Espagne de la nématode. Cette peste a fait perdre au Japon 25 millions de m3 de bois.

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La tempête de 2009 a relancé les infestations. Le scolyte se développe d’abord sur les chablis, puis il attaque les arbres vivants. L’invasion de la processionnaire est due au réchauffement. On le constate depuis vingt ans. A l’automne, s’il fait plus de 9° C dans la journée, elle dévore les aiguilles avant de faire son nid. On a eu l’attaque de la processionnaire à l’hiver 2009 et l’attaque des scolytes à l’été 2010.

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Bien entendu, ces attaques sont amplifiées par le seul fait de la monoculture du pin maritime. De ce fait, la ressource est abondante et il n’y a pas de barrière physique ou chimique pour arrêter la colonisation. Un simple rideau de feuillus arrête la colonisation. On constate même que le bouleau dégage des phéromones qui arrêtent les ravageurs. Bien sûr, on va garder le pin maritime, mais on peut diversifier avec le robinier et l’eucalyptus. Le problème, c’est qu’en Aquitaine, il n’existe aucune filière de valorisation des feuillus.

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Jean-René Liarçou, du CRPF (Centre régional de la propriété forestière) Aquitaine, apporte des précisions. La tempête de 2009, après la canicule de 2003 et la sécheresse de 2005, a affecté 202.000 hectares à plus de 40 %. On a eu cinq ans de récolte par terre. A la différence de 1999, le prix du bois s’est effondré en 2009, ce qui a touché 20.000 sylviculteurs et 12.000 entreprises. 30 millions de m3 ont dû être exploités en deux ans et 8,5 millions de m3 sont encore stockés sous aspersion d’eau pour éviter les insectes. 25.000 hectares ont été complètement perdus.

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L’augmentation de la consommation de bois énergie va dépasser la production (souches et branchages rémanents). L’infestation de scolytes aura été une double peine pour les forestiers. Sans parler des dégâts de gibier, qui sont importants dans le Médoc.

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Benoît Marçais, chercheur à l’INRA, présente le cas du frêne, victime d’une nouvelle maladie appelée chalarose, provoquée par un petit champignon du sol (pézize). Cette maladie, signalée dès 1990 en Pologne, n’est apparue en France qu’en 2008. Est-elle endémique ou invasive ? On l’ignore encore. Elle sévit dans le nord est de la France et en Suisse. En Haute-Saône, 88 % des frênes ont un dépérissement du houppier supérieur à 5 %. La chalarose provoque une nécrose du collet, au pied de l’arbre, nécrose qui apparaît sur la grume.

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L’espèce n’est pas menacée en tant que telle, car l’arbre développe des résistances, mais la croissance du frêne est alors arrêtée, ce qui fait qu’une plantation de frênes n’est plus rentable.

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Dominique Piou, chercheur du DSF, expose le cas du pin laricio qui, avec la sécheresse, est très sensible aux attaques de processionnaires. Mais il est aussi attaqué par un champignon thermophile, qui se développe sur les cônes des arbres adultes. Ce champignon se développe beaucoup sur les plantations de laricio en terre agricole, où il y a eu des apports d’azote. Le pin laricio est aussi victime de la « maladie des bandes rouges », qui s’attaque aux aiguilles. Le mal est resté endémique jusqu’en 1990, mais il est maintenant émergent. Au point que la Forestry Commission, en Grande-Bretagne, a suspendu toute plantation de laricio. Difficile de prévoir son avenir.

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François-Xavier Saintonge, du DSF, constate que les plantations de pins Weymouth, de sapins de Vancouver, de pins de Californie et de pins à l’encens ont toute échoué. « Il faut des peuplements vigoureux, mais pas trop ». Le cèdre, par exemple pousse avec 400 mm de précipitations et aussi avec 2 m. « La réussite d’une plantation ne préjuge en rien de son avenir ». Le forestier est satisfait lorsqu’une plantation réussit, mais c’est sur la durée qu’on pourra juger de la qualité du boisement. Il souligne aussi l’importance des coupes d’éclaircie, qui doivent se faire « en douceur ».

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